Le contre-la-montre est lancé ! Les syndicats ont fixé au jeudi 19 janvier la première mobilisation contre la réforme des retraites. Le point de départ d’une gronde qui s’annonce longue promettent-ils. Le climat social semble, en effet, explosif en France, les retraites viennent s’ajouter sur un mille-feuille de colères. Mais les syndicats ont-ils la capacité d’être le point de ralliement, le truchement, de ces mécontentements, alors qu’on parle notamment d’une “giletjaunisation” des luttes ?
C’est la première fois depuis 12 ans qu’un gouvernement réussi à coaliser tous les syndicats contre lui. CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, FSU et Solidaire font front uni contre le report de l’âge légal à 64 ans. La dernière fois, c'était le gouvernement de François Fillon qui avait réussi à les réunir. Et il s’agissait déjà d’une réforme des retraites. “S’il y bien une question qui peut parvenir à forger une unité syndicale, c’est bien celle des retraites et surtout celle du recul de l’âge légal” développe Stéphane Sirot, historien et spécialiste du syndicalisme.
Le tour de force de l'exécutif est d’autant plus frappant que les clivages se sont plutôt creusés ces dernières années entre les syndicats. Pour Stéphane Sirot, “il y a ceux de culture chrétienne et sociale-démocrate, du type CFDT, qui s’orientent vers un syndicalisme de partenariat social, à la recherche d’un compromis et puis il y a un syndicalisme ancré plus profondément dans la tradition syndicale française, campé sur des relations sociales de rapport de force, là, on pense à la CGT”. Selon le socio-historien, ce fossé a plutôt eu tendance à se creuser ces dernières années.
Une grande contestation sociale ne se décrète pas d’en haut
Cette union syndicale serait donc purement conjoncturelle, même si Dominique Andolfatto y voit des racines plus profondes. “On a vu fleurir des communiqués communs pendant la crise du Covid” se souvient ce professeur de science politique à l'université de Bourgogne, spécialiste des mouvements sociaux. “Les syndicats avaient le sentiment que le gouvernement voulait imposer des mesures sanitaires par le haut sans passer par le dialogue social”.
Peu avant la présentation de la réforme des retraites par la Première ministre, mardi 10 janvier, une note du renseignement territorial a fuité dans la presse. Les autorités s’inquiétaient notamment d’une “explosion sociale”. "Objectivement, le mécontentement est là, à cela s’ajoute la réforme de l’assurance-chômage et maintenant celle des retraites” confirme Dominique Andolfatto. Le pouvoir d’achat, le carburant cet automne et l’énergie ces derniers mois viennent rajouter une couche. Le terreau est clairement là. Le chef de file de la CGT, Philippe Martinez veut faire mieux que les mobilisations de 1995 et de 2010. Néanmoins, il faudra déjà dépasser celle du 19 janvier.
“Est-ce que cette contestation autour de la question centrale des retraites parviendra à agglomérer les mécontentements sociaux qui existent depuis plus d’un an ?” s’interroge Stéphane Sirot. C’est l’un des enjeux du mouvement qui se dessine et dont va dépendre son importance et sa puissance. “Historiquement, un grand mouvement social est généré par une revendication centrale qui parvient à agglomérer autour d’elle des colères plus diffusent" ajoute-t-il. Sauf qu’une grande contestation sociale “ne se décrète pas d’en haut” précise Dominique Andolfatto qui est aussi auteur d’ “Anatomie du syndicalisme", aux éditions Pug.
La question est donc de savoir si la base syndicale et au-delà les Français suivront le mouvement. Malgré un contexte favorable, il n'est pas certain que les syndicats seront encore capables de transcender les colères. “Cet engagement de la base était plus évident autrefois lorsque les syndicats avaient des ramifications importantes dans le corps social, lorsqu’ils étaient très implantés dans les grandes entreprises et dans les régions” expose le professeur de science politique à l'université de Bourgogne. “Le problème, c’est que depuis une vingtaine d’années, toutes ces structures se sont très sensiblement réduites et les syndicats ont un peu perdu la main avec les salariés, surtout dans les PME et les TPE”. La montée en puissance des moyennes et des petites entreprises aurait donc nui au maillage syndical français.
Les syndicats sont encore capables de rassembler
À cela s’ajoute, une réflexion sur l’efficacité des mouvements syndicaux. On a vu ces dernières années fleurir des mouvements spontanés, qui se construisent en dehors de toute structure, qui sont moins identifiés et du coup plus craints par les autorités. Récemment, le mouvement des contrôleurs à la SNCF, monté sur les réseaux sociaux, a poussé les médias à parler de “giletjaunisation” des luttes, en référence au mouvement qui a fait trembler Emmanuel Macron en 2018. “On a vu apparaître les gilets jaunes dans la France périphérique, celle des oubliés où au sein de métiers qui ont le sentiment d’être abandonnés par les pouvoirs publics. À la SNCF, ça reste un mouvement très différent” tempère Dominique Andolfatto. “Le rail, c’est une entreprise où les syndicats sont largement implantés et beaucoup de membres de ce mouvement des contrôleurs baignaient dans une certaine culture.”
“Après le mouvement des gilets jaunes, on avait eu beaucoup de discours attestant que les syndicats étaient dépassés” se souvient Stéphane Sirot. “Sauf qu’un an plus tard, face à la première réforme des retraites de Macron, ces mêmes syndicats avaient réuni près d’un million de personnes dans la rue. Ils sont encore capables de rassembler”.
Néanmoins, réunir des millions de personnes dans la rue sur une journée suffira-t-il à obtenir des concessions de l'exécutif ? “Si les syndicats se bornent à une mobilisation interprofessionnelle sur une journée, même en cas de réussite avec des millions de manifestants, ils ne parviendront pas à faire fléchir le gouvernement” répond Dominique Andolfatto. “Depuis des décennies, la pratique de journée d’action déconnectée de tout processus de grève reconductible n’a jamais réussi à obtenir des concessions du pouvoir sur une réforme” confirme Stéphane Sirot. “Ce sont des pratiques ritualisées, presque folklorique qui ne font pas céder le pouvoir.
La propension à la transgression est la plus à même d’obtenir des concessions du pouvoir politique
En partant de ce constat, il sera intéressant d’observer le degré de légalisme suivi par les syndicats pendant ces mouvements. “Lorsqu’on observe les réalités sociales, on voit bien que la propension à la transgression est la plus à même d’obtenir des concessions du pouvoir politique” assure Stéphane Sirot. Les gilets jaunes ont été un exemple criant de cette démonstration. “C’est sans doute le seul moment du quinquennat d’Emmanuel où le pouvoir a eu peur”.
On en revient d’ailleurs à la base des mouvements syndicaux. Car si transgression il y a, elle viendra d’eux plutôt que du sommet. “Il est tout à fait possible que le mécontentement du terrain soit supérieur à celui des directions syndicales nationales. Sans échapper totalement aux syndicats, la situation peut les obliger à entrer dans un bras de fer frontal”. La question est donc de savoir si la base ainsi que ces mouvements qui se sont développés en dehors du champ syndical vont contraindre les centrales à réfléchir à leur modalité d’action. Et c’est là que pourrait réapparaître des fractures entre une CFDT, très légaliste, qui affectionne les journées de mobilisation et une CGT, adepte du rapport de force, qui privilégie les grèves, comme on l’a vu dans les raffineries à l’automne dernier.
Le gouvernement recherche une domestication du temps social par le temps politique
Le dernier défi, c’est que le temps pour créer cette grande mobilisation sociale est imparti. Le gouvernement a une stratégie précise pour faire adopter sa réforme. Il veut aller vite. Le texte doit d’ailleurs arriver à l’Assemblée nationale début février. “On sait historiquement qu’au plus le pouvoir politique va vite dans l’adoption de sa réforme, plus vite les journées d’action s'arrêtent”. L'exécutif a pris soin de soigner son alliance avec la droite sur le dossier afin d’être certains à la fois d’éviter un 49:3 et d’éviter un examen trop long du texte. “Le gouvernement recherche une domestication du temps social par le temps politique” conclut Stéphane Sirot.
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