Qui sera le successeur de Yannick Noah pour remporter Roland-Garros ? 40 ans après le dernier sacre porte d'Auteuil, la question devient de plus en plus pesante. Et elle repose sur les épaules de chaque relève du tennis français depuis au moins deux décennies. Sans parvenir pour l’instant à combler les attentes. Les expectations ont-elles étouffé certains talents ? Est-il vraiment possible de forger un champion ? Quel rôle pour la fédération et les écoles privées ? Manque-t-il une culture de la gagne en France ? Autant de questions qui s'ouvrent lorsqu'on évoque la succession de Noah.
Le tournoi de Roland-Garros 2023 est un nouveau révélateur du trou d’air traversé par le tennis français. Pour la troisième année d’affilée, aucun représentant tricolore n’est présent en deuxième semaine, du jamais-vu en cinquante ans. “Dans tous les pays, il y a des trous” rappelle l’ancien coach Yannick Noah, Patrice Hagelauer qui s’élève pour défendre le tennis français. “À part l’Espagne, quel est le pays qui a toujours eu des phénomènes ? Par exemple, les Suédois ont dominé le tennis à une époque et aujourd’hui, c’est vide”.
La génération Tsonga, Simon, Gasquet et Monfils, qui parvenaient à faire des résultats, est en fin de course, sans être parvenue à remporter le Graal : un Grand Chelem. ”Dans le tennis, on attend encore celui qui va battre Nadal, Federer et Djokovic, trois gars qui ont dominé le tennis pendant quinze ans d’une manière qui n’existera plus” tempère Patrice Hagelauer. “Notre pays continue à faire du boulot, le millier de licenciés, tous les clubs font du boulot”, assure-t-il.
La vocation d’une fédération de tennis est l'élévation du niveau moyen des athlètes
Ce dernier constat ouvre d’ailleurs une question importante pour la reconstruction du tennis français : la place de la fédération. L’ancien joueur et actuel Directeur Technique National (DTN) de la fédé, Nicolas Escudé s’est fixé pour mission de “secouer le cocotier” et de remettre le tennis français sur le rail. Il veut par exemple travailler sur le mental et a monté un département dans ce sens dès son arrivée. La FFT s’est aussi attachée depuis janvier les services de l’ancien entraîneur de Roger Federer, le croate Ivan Ljubičić avec un ordre de mission : Ambition 2024.
Les structures nationales ne restent donc pas inactives face à la déliquescence du haut niveau. Néanmoins, selon l’ancien DTN de la FFT, Jean-Luc Cotard, “la vocation d’une fédération de tennis, sa mission exclusive, est le développement de la pratique au maximum et une élévation du niveau moyen des athlètes”. Si on regarde les Top 100, cet objectif semble atteint chez les hommes avec onze représentants parmi les cent meilleurs mondiaux actuellement. Chez les femmes, c’est plus compliqué avec seulement quatre françaises, mais Caroline Garcia (5e mondiale) fait office d’arbre cachant la forêt. “En France, notre performance moyenne est très haute” assure celui qui est aujourd’hui toujours à la fédération en tant que conseiller technique régional.
Reste la question du champion. “Par définition, il est hors système, il ne sort pas de la masse” analyse Jean-Luc Cotard. “Ça peut exploser n’importe où” abonde Patrice Hagelauer, “ces joueurs-là sont des phénomènes, hors structure”. La fédération aurait alors un rôle d’accompagnateur pour polir un talent brut.
La passion des entraîneurs a fortement diminué donc l’apprentissage de la base du tennis est moins bien réalisé qu’avant
Une tendance à la déresponsabilisation que balaye Philippe Rome qui travaille dans un centre de formation privé à Cannes, l’Élite Tennis Center, par lequel est notamment passé Daniil Medvedev n°2 mondial. On y retrouve également de nombreux Français ou encore la jeune prodige de 16 ans, Mirra Andreeva. Conseiller auprès du fondateur du centre, l’ancien joueur Jean-René Lisnard, Philippe Rome estime que “la qualité de l’enseignement a baissé dans les clubs”. Un phénomène qui a un impact sur le développement des jeunes.
“La passion des entraîneurs a fortement diminué donc l’apprentissage de la base du tennis est moins bien réalisé qu’avant” , explique-t-il. “Dans les centres de formation, on récupère des enfants à 10 ou 12 ans qui ne sont plus aussi avancés qu’avant, surtout au niveau tactique”. “Très jeune, il faut éduquer les athlètes à réfléchir” confirme Jean-Luc Cotard. “La question peut être simple pour l'entraîneur, simplement demander au jeune athlète ce qu’il veut travailler le lendemain. Cela permet de provoquer une réflexion sur ce que veut le jeune, ce qui est bon pour lui. C’est important dans une société où tout vient haché menu”.
La fameuse culture de la gagne qui manque aux Français. “C’est possible d’aller lorsque tu es français, mais c’est plus difficile d’être champion” assurait Yannick Noah lui-même à l’occasion d’une conférence de presse pour les 40 ans de son sacre à Roland-Garros. “Il faut aller te nourrir ailleurs, car nous sommes habitués à perdre à tous les niveaux. Tous les entraîneurs ont tous perdu”. On entre alors dans une dimension sociale avec des discours appliqués au tennis qu’on retrouve dans d’autres sphères de la société.
“Les joueurs français ont une technique propre, une bonne vision du tennis, mais il manque une volonté d’aller au-dessus de soi-même au quotidien et pas seulement lorsqu’on joue sur le central de Roland” diagnostique Philippe Rome. Une relève pointe quand même le bout de sa raquette pour le tennis français. Arthur Fils, 18 ans, a remporté le tournoi de Lyon et Luca Van Assche, 19 ans, a fait une belle entrée à Roland Garros. Même s’ils sont loin du niveau de l’espagnol Carlos Alcaraz ou du danois Holger Rune, 20 ans tous les deux, l’arrivée sur le circuit professionnel est prometteuse.
Notre société tennis français est dans l’attente fébrile et ultra-émotionnelle du prochain champion capable de gagner un Grand Chelem
“C’est la période où on apprend vraiment son métier et le problème du tennis français se situe justement entre 16 et 20 ans”, soutient Philippe Rome. “On met très vite les joueurs français dans un confort matériel et médiatique” développe-t-il. “Les entraîneurs, la fédération, la presse doivent durcir les conditions. Aujourd’hui, on dirait que le Top 100, c’est le Graal… Il faut donc rappeler aux jeunes que c’est maintenant que tout commence, ne pas en faire des champions avant l’heure et retrouver la culture de la gagne”.
Même observation du côté de Jean-Luc Cotard, la transition entre les sections cadet/juniors et le circuit professionnel peut-être compliquée, mais il n'invoque pas les mêmes raisons. Selon l’ancien DTN, le spectre de Yannick Noah pèse trop lourd pour les jeunes générations. “On peut croire dans ces jeunes joueurs et joueuses à la condition qu’on les laisse tranquilles” prévient-il. “Notre société tennis français est dans l’attente fébrile et ultra-émotionnelle du prochain champion capable de gagner un Grand Chelem et c’est un piège pour nos jeunes. Ce n’est pas un service à leur rendre. Je trouve, par exemple, un peu lourd à porter, en plein Roland Garros, la célébration des 40 ans de la victoire de Yannick Noah. Sans qu’on ne s'en rende compte, il y a un côté un peu mémoriel et pesant” conclut-il.
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