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Rugby : l’épineuse gestion des commotions cérébrales par les clubs et les fédérations

Un article rédigé par Clara Gabillet - RCF, le 13 décembre 2022 - Modifié le 13 décembre 2022
Le dossier de la rédactionRugby : l’épineuse gestion des commotions cérébrales

Plusieurs affaires secouent le rugby français depuis quelques semaines autour de la prise en charge des victimes de commotions cérébrales. Après des recours administratifs d’un groupe de joueurs et joueuses contre la Fédération française de rugby (FFR) et la Ligue nationale de rugby (LNR), des plaintes ont été déposées par un ancien joueur de Clermont-Ferrand contre son club. Tous espèrent avant tout une prise de conscience.

Photo d'illustration © Unsplash Photo d'illustration © Unsplash

"Je suis obligé de parler." C’est avec ces mots qu'Alexandre Lapandry a témoigné la semaine dernière dans le journal L'Equipe, quelques jours après que cet ancien troisième ligne de l'ASM a annoncé publiquement mettre un terme à sa carrière, après deux ans de silence. Une décision contrainte. Le joueur de 33 ans a subi une commotion cérébrale le 18 octobre 2020 lors d’un match de Top 14 contre le Stade Français. Un AVC du cervelet lui a été diagnostiqué deux mois plus tard. 

 

"On a privilégié les intérêts financiers d'un club à sa santé"

 

Cela faisait donc deux ans qu’il ne jouait plus. Il vient d’être déclaré inapte et licencié par son club, ce qui l’a poussé à porter plainte. 4 plaintes contre X pour des faits de "violences involontaires et mise en danger de la vie d'autrui" et de "violences psychologiques". Alexandre Lapandry dénonce le fait d’avoir été autorisé à reprendre l'entraînement avec contact après sa commotion, et n’avoir pas été soumis à des examens poussés du cerveau. L'ancien troisième ligne affirme aussi s’être senti délaissé par son club après son choc.

 

"L'impression qu'il a, c’est qu’on a privilégié les intérêts financiers d'un club à sa santé et à sa sécurité, détaille son avocat Jean-Hubert Portejoie. Il a voulu parler, dénoncer des fautes qu’il impute à l’ASM. Il veut que ça se sache pour que ça ne se reproduise plus, qu’il n’y ait plus de nouvel AVC sur un terrain." Des accusations démenties lundi par le président de l’ASM lors d’une conférence de presse. "La santé de nos joueurs a toujours été et sera toujours la priorité du club", a rétorqué Jean-Michel Guillon. Le club auvergnat est mis en cause pour la deuxième fois. En 2019, l’ancien joueur canadien Jamie Cudmore avait lui aussi déposé plainte contre l’ASM pour le même motif. 

 

Un tabou difficile à gérer entre les staffs et les joueurs

 

Ces commotions sont fréquentes dans ce sport de contact comme dans d’autres. Il s'agit d'un traumatisme crânien léger dû à un impact qui est transmis au cerveau, qui peut engendrer une perte de connaissance, des maux de têtes, des vertiges, une perte de mémoire. Un choc d'autant plus grave lorsqu'il est répété, comme au rugby où joueurs et joueurs se plaquent, font des mêlées. Cela peut ainsi aboutir, dans les cas les plus graves, à des maladies neurodégénératives. 

 

Mais la gravité des impacts n'est pas toujours facile à déceler lorsqu'ils surviennent car tous les joueurs ne font de pas de KO. Et, les places étant précieuses sur le terrain, les joueurs n'osent pas toujours demander à en sortir. "La plupart du temps, le joueur est complice pour rester sur le terrain, affirme Jean-François Chermann, médecin neurologue spécialiste des commotions chez les sportifs. Dans des écuries où il y a 50 joueurs, on n’a pas toujours l’occasion de jouer, quand on joue on a des salaires particuliers. L'aspect financier est très important." Pourtant, "si vous reprenez un impact, vous risquez d’avoir un prolongement de votre syndrome post-commotionnel et de mettre un arrêt à votre carrière", insiste le spécialiste. 

 

Les clubs et leurs staffs ont aussi parfois des difficultés à appréhender les commotions, à engager ou non leur responsabilité. Même si certains clubs avancent, parfois plus vite que d'autres, en fonction de leurs moyens. Un tabou existe dans le monde du rugby, chez les clubs employeurs mais aussi les joueurs selon Robins Tchale-Watchou. "Par pudeur et crainte, on souffre en silence. Côté employeurs, comme il y a la responsabilité qui peut tomber, on avance doucement, on n’ose pas se lancer", analyse cet ancien joueur professionnel, aujourd’hui président de Provale, syndicat de joueurs de rugby.

 

L'urgence d'un meilleur accompagnement des victimes

 

Des internationaux regrettent de leur côté que les instances dirigeantes du rugby ne tirent pas de leçons de certains cas graves et ne mettent en place aucune mesure. Par exemple des nombres de contact autorisés pendant les entraînements et durant la saison. Pour l’instant World Rugby, la fédération internationale ne fait que des recommandations. Les règles dans le jeu ont quant à elles évolué, notamment en mêlée pour diminuer le choc entre les joueurs. Mais peut-être faudra-t-il aller plus loin, imaginer autre chose ? Cela semble urgent alors que certains rugbymen sont morts après avoir reçu des chocs sur le terrain. L’année 2018 a été particulièrement dramatique.  

 

"C'est compliqué de faire en sorte qu’il n’y ait pas de commotion", avance le docteur Jean-François Chermann. L'enjeu se trouve donc dans la prise en charge des victimes et leur diagnostic. Des études sont en cours sur des diagnostics par prise de sang ou tests salivaires. Les commotions sont également mieux repérées qu’il y a 10 ans grâce au protocole commotion HIA réalisé en trois étapes : durant le match, après le match et 48 heures après. Jean-François Chermann, qui travaille actuellement sur une stratégie thérapeutique grâce à la lumière à infrarouge, affirme que le protocole commotion a permis de faire sortir du terrain beaucoup plus qu’auparavant les joueurs commotionnés. "Quand on suspecte une commotion, il faut sortir le joueur, martèle le neurologue. C'est lorsqu'il reprend un impact qu'il y a une gravité prégnante surtout pour les moins de 20 ans."

 

D'autres solutions apparaissent toutes aussi urgentes comme le suivi médical du joueur après sa carrière. Souvent, une fois que le club ne peut plus le garder après le diagnostic établi, il est mis de côté. "Penser que, parce qu'on va changer une règle, ça va régler le problème, si on a pratiqué le rugby on sait que c’est pas forcément ça qui changera la chose. Il y aura toujours des commotions parce que nous sommes un sport de combat", explique Robins Tchale-Watchou. En revanche, il est impératif selon lui d'apprendre aux joueurs à mieux plaquer, sensibiliser le plus grand nombre à cet enjeu de santé.  

 

Le sujet monte également dans d'autres sports

 

Une urgence qui ne concerne pas que le rugby. Dans le football aussi, le sujet des commotions, resté longtemps silencieux, monte de plus en plus. Une étude anglaise a récemment révélé sont plus exposés à des problèmes de santé cérébrale après 65 ans que le reste de la population. Le jeu de tête suscite de l’inquiétude. Des réflexions émergent sur une éventuelle régulation. Dans le football anglais aussi, un joueur atteint de démence a annoncé sa volonté de porter plainte contre la fédération de son pays pour ne pas l’avoir protégé.  
 

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