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Russie : que reste-t-il de l'opposition après la mort d'Alexeï Navalny ?

RCF, le 22 février 2024 - Modifié le 18 mars 2024

Un mois avant l’élection présidentielle en Russie, l'opposition politique russe, déjà embryonnaire devient larvaire après la mort en prison de sa principale figure Alexeï Navalny. En prison, en exil ou sous la houlette du pouvoir, les voix critiques à l’égard du Kremlin semblent de plus en plus menacées. 

Hommage a l'opposant russe Alexeï Navalny, mort vendredi 16 février dans une prison de l’Arctique russe / Photographie par Magali Cohen / Hans LucasHommage a l'opposant russe Alexeï Navalny, mort vendredi 16 février dans une prison de l’Arctique russe / Photographie par Magali Cohen / Hans Lucas

La méthode Poutine

“La démocratie, d'une manière générale, est vue par Vladimir Poutine comme un système qui n'est pas très efficace et qui menace la stabilité de l'Etat”, prévient d’emblée Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie/Eurasie de l’Ifri, experte en politique intérieure et extérieure russe. “Cela explique le traitement réservé aux opposants”, ajoute-t-elle. 

Les opposants sont là pour jouer un rôle de figurant dans l'esprit de Vladimir Poutine

En effet, depuis presque un quart de siècle qu’il est au pouvoir, Vladimir Poutine a réussi à refouler, à réduire et à écraser plusieurs vagues successives d’opposition. Alexei Navalny, mort vendredi 16 février dans une prison de l’Arctique russe, est le dernier d'une longue série d'ennemis ou d'adversaires de Poutine. “Les opposants sont là pour jouer un rôle de figurant dans l'esprit de Vladimir Poutine” explique l’experte. Un mois avant l’élection présidentielle dont l’issue ne fait guère de doute, personne ne s’attend à voir cette approche changer. 

Le président russe Vladimir Poutine / Photograph by Xose Bouzas-  Hans Lucas

La méthode est simple. Il y a d’abord l'opposition parlementaire qui est plutôt cooptée avec des partis politiques vidés de leur sens. La Russie a tous les attributs d'une démocratie formelle, mais c'est un pays où, aujourd'hui, aucune institution démocratique ne joue son rôle”, explique Tatiana Kastouéva-Jean. “Le Parlement est à la botte de l'administration présidentielle, c'est-à-dire du Kremlin, la justice n'est pas libre et les médias sont muselés”, liste-t-elle. 

La mort ou la prison

Viens ensuite, la véritable opposition, celle hors système, libéral ou démocratique, qui est aujourd'hui “dans un état de ruine”, selon la chercheuse. Il y a ceux qui sont morts, comme Navalny ou les journalistes, Natalia Estemirova et Anna Politkovskaïa

Les autres sont en prison, comme Vladimir Kara-Mourza, citoyen russo-britannique, condamné à 25 ans de prison après avoir été accusé de trahison, d'avoir diffusé de “fausses informations” sur l'armée russe et entretenu des liens avec une "organisation indésirable". Ami d’Alexeï Navalny, il a transmis un message jeudi 22 février, publié sur les réseaux sociaux, appelant à ne pas “désespérer”. Depuis sa prison en Sibérie, il a exprimé son espoir de “faire de la Russie un pays démocratique européen normal et libre”. “Alexeï a dit : n'abandonnez pas. Il est impossible d'abandonner”, a-t-il déclaré.

L'association russe Memorial estime qu'il y a à peu près 1000 prisonniers politiques en Russie. Autre figure de l’opposition russe, vétéran de cette ONG, le dissident Oleg Orlov est par ailleurs jugé depuis mi-février. Il encourt jusqu'à cinq ans de prison pour ses dénonciations répétées de l’assaut en Ukraine. Oleg Orlov a expliqué cette semaine à l'AFP rester en Russie pour “continuer le combat”. “Je n'ai pas envie de me retrouver en prison... Mais ai-je le choix ?”, interrogeait-il.

On assiste à une évolution des pratiques vers les méthodes staliniennes

Pour ceux qui sont restés, la répression et les menaces judiciaires sont telles qu’une “vraie opposition n'est pas possible”, juge Tatiana Kastouéva-Jean. L'opposition anti-guerre est sévèrement réprimée, même quand il s'agit de ce qu'on appelle en Russie le « piquet solitaire », c'est-à-dire la personne qui sort avec une pancarte passer quelques minutes sur la place publique pour afficher son désaccord”, rappelle-t-elle. 

“On assiste à une évolution des pratiques vers les méthodes staliniennes, notamment dans la durée des verdicts contre les opposants” estime la chercheuse. Elle fait notamment référence aux 25 ans de prison pour Vladimir Kara-Mourza. “Même pour Poutine, c'est extrêmement long” précise-t-elle. L'exemple le plus symbolique reste Alexeï Navalny. “Il a été envoyé dans une colonie, au-delà du cercle polaire qui est vraiment la colonie héritière directe de l'ancien goulag” analyse Tatiana Kastouéva-Jean. 

Les opposants en exil 

Reste enfin les opposants en exil comme Mikhaïl Khodorkovski, ancien industriel du pétrole, Garry Kasparov, l’ancien champion d’échecs ou encore Dimitri Goudkov, ex-député d'opposition qui a été classé en Russie comme “agent de l’étranger”. Tous sont sous le choc de la mort de Navalny mais essaient maintenant de se réorganiser pour lutter contre Vladimir Poutine. 

"Nous allons pleurer dans nos chambres, dans nos salles de bains, mais publiquement, nous allons évidemment continuer de nous battre contre le régime, avec tous les moyens à notre disposition", déclare à l'AFP Evguéni Nasyrov, coordinateur du mouvement de Navalny en Allemagne.

L'espoir est revenu, notamment grâce à l'annonce choc de Ioulia Navalnaïa, la veuve de Navalny, trois jours après la mort de son mari, qui s'est dite prête à reprendre le flambeau. "Ioulia peut compter sur mon soutien. J'espère que cette tragédie marquera un tournant pour que nous coordonnions nos activités d'opposition tous ensemble", affirme par exemple Dimitri Goudkov. 

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