Syrie
Presque 15 jours après la chute de Bachar Al Assad. Les images de la libération de la prison de Saydnaya près de Damas ont dévoilé l'horreur de la mécanique de répression du régime Assad. Auquel s’ajoute l’accumulation des crimes de guerre et contre l’humanité depuis 2011. Les nouveaux dirigeants de la Syrie ont promis de rendre justice aux victimes. Mais comment juger tous ces milliers de crimes commis pendant des décennies?
15 jours après la chute de Bachar Al Assad, l'ouverture des prisons et des fosses communes révèlent l'étendue des exactions du régime syrien : prisons abattoirs, torture systématique, exécutions sommaires, mais aussi bombardements sur les civils et l’utilisation d’armes chimiques. Le bilan de la répression est estimé par l’ONU à 600 000 morts depuis 2011 et entre 100 000 et 150 000 disparus.
Avec la fuite de l’ancien président syrien et l’effondrement du régime. Les nouveaux dirigeants de la Syrie ont promis de rendre justice aux victimes. Mais l’ampleur de la tache est considérable pour juger tous ces crimes ? Plusieurs options sont pourtant envisageables, en premier lieu la Cour pénale internationale (CPI). "Aujourd'hui, la Syrie n'est pas un État membre, mais elle pourrait le devenir" explique Cyril Blin directeur des programmes et des opérations à la Fédération internationale des droits de l’Homme. Autre option, selon lui, un tribunal sur mesure : "sur le modèle de l’ex-Yougoslavie ou du Rwanda ou un tribunal hybride, comme il y a eu au Sierra Leone, composé à la fois d'experts syriens et d'experts internationaux".
Les exactions commises pendant des décennies pourraient aussi être jugées localement par des tribunaux syriens. "Le plus important, c'est que les crimes soient jugés au plus près des victimes. Cela permet le processus de réparation le plus fort" précise Cyril Blin. Mais la justice syrienne est entièrement à reconstruire. Cela suppose une transition démocratique et un nouveau droit syrien intégrant les crimes internationaux et les crimes contre l’humanité.
Il existe enfin la voie des justices d’autres états. Si des victimes ont la nationalité du pays qui juge. Par exemple en France au mois en mai, trois haut responsables du régime syrien ont été condamnés à perpétuité en leur absence pour la mort et la disparition de deux franco-syriens en 2013. De nombreux Etats comme la France ou l’Allemagne ont aussi inscrit la compétence universelle dans leur code pénal. "Elle permet de poursuivre des criminels étrangers pour des crimes qu'ils ont commis à l'étranger sur des victimes étrangères" rappelle Aymeric Elluin chargé de plaidoyer armes et conflits armés à Amnesty International France. En Allemagne, en 2020, un ancien officier du régime a été ainsi condamné à la prison à vie pour 27 meurtres sur des prisonniers et des actes de tortures sur au moins 4 000 autres dans la prison d’Al-Khatib, à Damas entre 2012 et 2013.
Les voies juridiques sont multiples, mais les procédures peuvent s’appuyer sur des preuves solides. "Le conflit syrien est l’un des mieux sinon le mieux documenté. En 2016, l'Assemblée Générale des Nations Unies a créé un mécanisme international, impartial et indépendant chargé de recueillir toutes les preuves. En 2020, plus d'un million de données avaient déjà été réunies" précise Aymeric Elluin. De nouvelles preuves sont désormais à portée de main. "Elles sont à protéger pour éviter leur disparition" souligne Cyril Blin qui évoque "une scène de crime de la taille du pays tout entier. Le régime syrien a lui-même énormément documenté ses exactions. C'est effroyable, mais c'était un régime très bureaucratique qui documentait tout". Il faut également recueillir des témoignages maintenant que les prisonniers ont été libérés. "Cette parole, elle est indispensable. C'est la parole des victimes, mais aussi celle des bourreaux pour pouvoir également reconstituer l'entièreté du puzzle" souligne Aymeric Elluin.
L’ex président syrien est réfugié en Russie et il est donc protégé par Vladimir Poutine, lui même étant poursuivi par la Cour pénale internationale. Me Emmanuel Daoud avocat à la CPI en est convaincu : "Bachar el-Assad sera jugé un jour, si naturellement. Il est remis par les autorités russes. Aujourd’hui cela semble irréaliste. Mais Slobodan Milosevic a bien été remis par la Serbie, par son propre pays, à la Cour pénale internationale, lorsque la donne géopolitique a changé. La justice internationale s’inscrit dans le temps long".
Bachar Al-Assad étant désormais un président déchu, la question de l'immunité personnelle accordée aux chefs n’est plus un obstacle. L'ex dictateur pourrait ainsi être jugé par défaut également par un tribunal national. Par exemple, en France où un mandat d’arrêt international a été émis à son encontre notamment pour "crimes de guerre et crimes contre l'humanité", après l'utilisation d'armes chimiques sur sa population en 2013. Enfin aux crimes commis par le régime s'ajoutent ceux commis par les rebelles islamistes durant la guerre civile, et ceux de Daesh.
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