Les dominicaines du Saint Esprit veulent faire la lumière sur les abus commis au sein de leur institut dans les années 2010-2013. À l’époque un exorcisme a viré au cauchemar après des révélations concernant le fondateur de la communauté. L’abbé Berto, une figure du traditionalisme en France, aurait eu des gestes déplacés de nature sexuelle sur des religieuses. Des révélations qui ont justifié par la suite de graves dérives.
Plus de dix ans après les graves dérives survenues au sein de la congrégation des dominicaines du Saint-Esprit, dont le siège est situé au domaine de Pontcallec, dans le Morbihan, les sœurs viennent d'annoncer la création d'une commission pluridisciplinaire indépendante, à la demande du pape François. Celle-ci sera dirigée par l’historien Paul Airiau, ancien membre de l’équipe de recherche socio-historique préparatoire à la CIASE et devra faire la lumière sur les abus commis dans la communauté des dominicaines du Saint-Esprit dans les années 2010-2013.
L’affaire remonte à la fondation de l’institut en 1943 par l’abbé Berto. C’est une figure du traditionalisme français, il a été théologien privé de Mgr Lefebvre pendant le Concile Vatican II. Après sa mort en 1969, l’institut est encore très marquée par son autorité et ses écrits.
En 2010, une mise à jour du fonctionnement de l’institut est lancée, on évoque alors un projet de béatification du fondateur. À ce moment-là des religieuses âgées témoignent "d’actes déplacés contraires à la chasteté" de l’abbé Berto. C’est dans ce contexte qu’un nouvel aumônier arrive à Pontcallec, l’abbé Cadiet, membre de la fraternité Saint-Pierre.
Le nouvel aumônier, lui, est convaincu que le fondateur de l’institut a appartenu à une société secrète, qu’il a eu des pratiques ésotériques, qu’il a pactisé avec le démon. Il organise alors des séances d’exorcisme pour libérer les sœurs de l’emprise démoniaque de l’abbé Berto.
En 2011, pour accompagner les sœurs qui dénoncent les agissements de l’abbé Berto, la supérieure et la maitresse des novices de l’époque, confient à l’abbé Cadiet, le soin d’exorciser quelques religieuses bouleversées par les révélations. Le nouvel aumônier, lui, est convaincu que "le fondateur de l’institut a appartenu à une société secrète, qu’il a eu des pratiques ésotériques, qu’il a pactisé avec le démon." Il organise alors des séances d’exorcisme pour libérer les sœurs de l’emprise démoniaque de l’abbé Berto. Dans le même temps, encore une fois, des religieuses subissent des agressions sexuelles. La psychose se répand alors dans toute la communauté.
La nouvelle commission d’enquête doit permettre de "comprendre la dynamique qui a permis d’aboutir à ces actes, de voir comment cela a été perçu, compris et dénoncé. Comment cela a été traité à l’intérieur de l’institut et par les autorités qui ont enquêté sur l’affaire", explique Paul Airiau, son président.
À l’époque, plusieurs plaintes ont été déposées devant le tribunal civil de Lorient pour "actes de torture et barbarie". Une enquête a été menée par la Commission Ecclesia Dei, en charge à Rome des instituts traditionalistes. Elle a conclu en 2016 que "la pratique incompétente de l’exorcisme et l’utilisation frauduleuse et pervertie de ce sacramental" avait eu pour conséquence d’avoir favorisé "une dérive de type sectaire conduisant à la division au sein de l’institut."
La parole des victimes, leur vécu psychologique, leur traumatisme spirituel marque encore très profondément les dominicaines du Saint-Esprit. Pour les sœurs concernées, l’institut et les autorités ecclésiastiques n’ont pas pris la mesure de ce qui s’est produit et n’ont pas permis de guérir.
Les responsables de la communauté et l'abbé Cadiet ont été écartés. Certaines sœurs ont été exclues de la vie religieuse. Pour Paul Airiau, "la parole des victimes, leur vécu psychologique, leur traumatisme spirituel marque encore très profondément les dominicaines du Saint-Esprit. Pour les sœurs concernées, l’institut et les autorités ecclésiastiques n’ont pas pris la mesure de ce qui s’est produit et n’ont pas permis de guérir."
C’est le cardinal Marc Ouellet, qui a été chargé par le pape d’accompagner la communauté. Le pape François lui-même avait adressé une lettre aux sœurs en janvier 2022 pour présenter ses excuses pour les défaillances de la Curie romaine à l’égard des sœurs de Pontcallec.
Il est intéressant de comprendre cette crise dans le contexte général d’abus dans l’Église, de rapprocher cette enquête de toutes les enquêtes qui sont produites pour comprendre quelles sont les logiques qui aboutissent à des mécanismes d’emprise ou d’abus.
La commission d’enquête souhaite mener un travail scientifique. Pour cela, elle est composée d’un historien, d’un ancien exorciste diocésain, d’un psychiatre, d’un ancien magistrat et d’une supérieure religieuse. Pour Paul Airiau, "il est intéressant de comprendre cette crise dans le contexte général d’abus dans l’Église, de rapprocher cette enquête de toutes les enquêtes qui sont produites pour comprendre quelles sont les logiques qui aboutissent à des mécanismes d’emprise ou d’abus à l’intérieur d’organismes qui ont leur propre logique de fonctionnement. Ce sont des lieux d’observation très intéressants sur les rapports de pouvoir, les manières d’exercer l’autorité, les manières d’obéir ou pas."
Un rapport sera remis au pape dans un an.
Précisons que cette commission d'enquête n’a rien à voir avec le renvoi de la vie religieuse d’une des sœurs de Pontcallec, la mère Marie Ferréol. L’affaire a eu un retentissement assez fort dans la presse ces derniers jours avec la condamnation par un tribunal français de plusieurs responsables d’Église dont le cardinal Marc Ouellet. Cette enquête confiée cette semaine à Paul Airiau est donc sans lien avec cette histoire.
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