Le bien-être animal est devenu la sixième préoccupation des Français, derrière les violences faites aux femmes ou la protection de la biodiversité, selon un sondage. Or, les consommateurs ignorent bien souvent les pratiques réelles des éleveurs. Des agriculteurs témoignent.
Le bien-être animal dans l’élevage, c’est un sujet central pour des consommateurs de plus en plus soucieux de ce qu’ils achètent et de la manière dont c'est produit. Sylvie Bouxin a huit bovins chez elle et occupe un poste de salariée agricole dans une ferme laitière de Saint-Georges-d’Aunay. « Quand je vends un veau, c’est par vente directe. Les gens demandent parfois de venir voir les animaux, voir comment ils sont élevés, où ils vivent. La première question, c’est : “ a-t-il été élevé aux antibiotiques ? " », explique-t-elle. C’est un sujet central aussi pour un territoire comme la Normandie où l’élevage bovin est une activité agricole de premier plan. La Normandie, c'est plus de 500.000 vaches laitières, dont 235.000 rien que dans la Manche, selon la Chambre d'agriculture en 2022. Le lait représente 32 % du chiffre d'affaires de la production agricole régionale, soit quasiment le tiers. Face à de tels enjeux, il faut d’abord revenir sur ce qu’est le bien-être animal.
Il faut d’abord savoir que le bien-être animal est régi par des lois et des principes mondialement établis. Ces principes sont au nombre de cinq. « C’est ce qu’on appelle le One Welfare », nous explique Aurélie Cauchard, éleveuse à Savigny dans le Centre-Manche. L’agricultrice laitière a participé au programme européen BICOSE, un groupe de réflexion piloté par la Chambre d’agriculture dont le slogan est : « le bien-être animal, du concept au service de l’agriculture ». Les cinq principes du One Welfare sont : l’absence de faim et de soif, l’absence de peur, l’absence de maladie et de douleur, l’absence de stress physique ou thermique et la liberté pour l’animal d'exprimer des comportements naturels liés à son espèce. Ils sont établis par l’Organisation mondiale de la santé animale. Une reconnaissance plutôt récente du bien-être animal. « Je ne suis pas sûr que ces principes soient bien connus des éleveurs, mais ils s’occupent tous les jours de leurs animaux, ils les soignent, ils répondent à ces principes sans le savoir », développe Aurélie Cauchard. Aujourd’hui impossible de connaître les chiffres de la maltraitance bovine dans le département de la Manche. Ils sont confidentiels et nécessitent d’en faire la demande. Notre demande n’a pas obtenu de réponse pour le moment.
Posséder un troupeau, c’est quasiment passer tous les jours de sa vie en compagnie des bovins. À force, l'œil de l’éleveur s’aiguise et il repère ce qu’il ne va pas. « On le voit à la traite, comme on la fait deux fois par jour. On regarde si elles ruminent, si elles se couchent rapidement. On peut détecter les maux de pattes ou quand elles boitent », explique Sylvie Bouxin. L’agricultrice se forme depuis 2017 à la médecine douce. Acupuncture, phytothérapie, ostéopathie, homéopathie, shiatsu, des formations sont proposées par la Chambre d'agriculture de la Manche depuis une vingtaine d'années. « Nous sommes un département pionnier », indique Catherine Brunel, chargée du conseil, de la formation et de la gestion de projet au sein de la Chambre. Aurélie Cauchard a aussi beaucoup pratiqué ces formations : « Ça permet de mieux connaître nos animaux, d’avoir une meilleure approche et un meilleur relationnel. On a un métier en constante évolution ». Ces pratiques, elles les utilisent de manière préventive au quotidien pour éviter au maximum le recours aux médicaments et traitements plus lourds. Les antibiotiques sont uniquement prescrits par un vétérinaire, les éleveurs n’ont pas l’autorisation d’en administrer sans son aval. « Nous n’avons pas de mutuelle pour les animaux, les antibiotiques ne sont pas remboursés et représentent un coût pour l’éleveur. Si on en utilise, c’est pour soigner l’animal », réagit Aurélie Cauchard. Les enjeux autour d’une vache qui se sent mal, c’est de le détecter le plus rapidement possible, ce que permet l’introduction des nouvelles technologies dans le monde de l’élevage.
Cela fait bientôt une quinzaine d'années que Laure Poupard travaille pour Innoval, une entreprise spécialisée dans l’insémination de bovins. Ils ont d’abord déployé des outils de détection des chaleurs pour optimiser la durée entre deux vêlages. Ces outils mesurent aussi la rumination via un collier connecté. « Les premiers facteurs d’une vache qui ne va pas bien, ça va être une chute de la rumination. Dès qu’une vache ne se sent pas bien, elle arrête de ruminer. Ces outils permettent de détecter la pathologie entre 6 heures et trois jours avant l’éleveur », détaille Laure Poupard. Un animal en bonne santé, c’est un animal qui produit plus de lait et de meilleure qualité. « Si on a un lait de moins bonne qualité, on est moins payé, la sanction elle tombe tout de suite », explique Aurélie Cauchard. Son troupeau est équipé de ces colliers connectés, elle reçoit en direct les alertes sur son téléphone. Ces informations rejoignent les nombreuses informations qu’elle possède désormais dans sa poche. Son smartphone contient toutes les données médicales, généalogiques et physiques de son troupeau. Elle appartient également à une coopérative d’agriculteurs qui possèdent ensemble du matériel (CUMA). Ils ont investi dans une piscine à vache permettant de relever un animal pour qu’il puisse tout doucement reprendre de la vigueur dans son arrière-train. Les progrès techniques permettent aujourd’hui à l’éleveur de respirer et de prendre aussi soin de lui.
Un éleveur en crise financière, en dépression ou surmené peut-il s'occuper correctement de ses bêtes ? Pour Aurélie Cauchard, c’est clair : « Un éleveur bien dans ses bottes, c’est une vache bien dans ses pattes. On ne peut pas parler aujourd’hui de bien-être animal sans parler du bien-être de l’éleveur ». Elle poursuit : « Nos animaux sont mieux suivis que nous. Si j’appelle le vétérinaire, en dix minutes, il est présent sur l’exploitation. Je vous mets au défi d’être pris en dix minutes aux urgences. Moi par exemple, depuis les années 2000, en 25 ans, je n’ai eu qu’une seule visite médicale ». Aurélie Cauchard et son mari ont tout de suite eu de l’intérêt pour les nouvelles technologies proposées par Innoval pour l’aspect réduction de la charge mentale. Elle explique que le confort et le peu de temps qu’ils se dégagent, via ces objets connectés, permettent par exemple à son mari de faire du vélo, sa passion.
Aujourd’hui en France, un agriculteur se suicide tous les deux jours pour des questions familiales, de difficultés économiques ou de perte de sens. Les progrès en termes de bien-être de l’éleveur restent à faire, comme pour le bien-être animal.
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