“Vous avez semé un bébé et vous récoltez une bombe”. La phrase est de Donald Winnicoot, célèbre pédiatre et psychanalyste britannique. Et elle reflète bien la désorientation de nombreux parents, qui ne reconnaissent plus l’être explosif qu’est devenu leur enfant chéri à l'adolescence. Comment comprendre ses sautes d’humeur ou cette léthargie exaspérante ? Quels sont les nouveaux besoins qu’il ou elle cherche à satisfaire ? Comment garder le contact sans craquer ? Décryptage du Dr Arnaud Pfersdorff, pédiatre et Solveig Foucher, psycho praticienne spécialisée dans l'enfance et adolescence.
Quand commence l’adolescence ? "C’est une période qui est liée à la puberté." rappelle le Dr Pfersdorff. "Elle correspond aux développement des signes secondaires sexuels, comme les seins qui commencent à pousser, les poils sous les aisselles ou pubis, la peau qui change de texture, la voix qui mue et ce sont des manifestations qui varient d’un enfant à l’autre." D’où la notion de pré adolescence, avec puberté précoce, qui aujourd’hui commence de plus en plus tôt, parfois avant 9 ans et qui peut se prolonger au-delà de 19 ans ! Bouleversements physiologiques, mais aussi psychologiques, avec un enfant qui va vouloir s’affirmer, s’opposer, remettre en question l’autorité parentale. "Une "séparation individuation", comme la psycho praticienne Solveig Foucher, qu’on retrouve déjà dans la petite enfance et qui va se rejouer à l’adolescence.
L’ado, un être en transformation, qui va avoir de nouveaux besoins : d’abord, celui d’être écouté, dans ses nouvelles aspirations. Car l’adolescence est une période de "créativité exploratrice", où l’enfant va tester des nouveautés, comme vouloir jouer de la guitare, se mettre au régime végétarien ou adhérer à une association de protection de l’environnement. Une vraie écoute, qui ne veut pas dire tout satisfaire, mais "qui reste un défi pour les parents." souligne Solveig Foucher. Parents qui n’ont pas toujours le temps ou auraient tendance à minimiser ces élans, d’autant qu’ils peuvent changer d’un jour à l’autre. Autre besoin : celui de l’intimité, qui passe notamment par le respect de son espace personnel comme sa chambre. "Il faut accepter que notre enfant se détache de nous et c’est un vrai travail à faire en tant que parent." résume Solveig Foucher.
Cela dit, comment gérer un ado au quotidien, à commencer par ses fameuses "sautes d’humeur "? Une agressivité certes liée aux flots d’hormones et à un système cérébral pas encore suffisamment mature pour contrôler de trop fortes émotions. Mais pour le Dr Pfersdorff, "Il faut qu’il y ait une opposition, que l’enfant puisse dire m…à ses parents pour pouvoir se construire." Quitte à trouver suspect une adolescence lisse et sans heurts ... Pour autant, comment réagir quand votre ado vous claque la porte au nez en hurlant ? "Dans ces moments-là, la difficulté pour le parent, c’est de ne pas flancher et de ne pas réagir en miroir sur le même ton que l’adolescent." estime Solveig Foucher, qui poursuit : "Il faut se rappeler que c’est moi l’adulte, je reste solide et ancré. Et attendre que l'ado "redescende" pour renouer le lien."
Autre point de tension : les demandes de sorties. Plus grande place des amis, besoin de s’éloigner de la vie familiale, c’est un moyen pour l’ado d’expérimenter sa liberté. Mais à quelle condition accepter ? D’abord fixer les heures de rentrée en fonction de l’âge, mais surtout établir un contrat de confiance et une bonne préparation des termes en amont : "Comment il va rentrer, seul ou avec ses amis, à pied ou est-ce que je viens te chercher ?" suggère Solveig Foucher. Et s’il y a eu entorse au contrat, en tirer les conséquences.
Un impératif sur ce sujet, comme beaucoup d’autres : rester sur la même longueur d’onde éducative entre parents. "Aujourd’hui, plus d’un ado sur deux vit dans une famille séparée." rappelle le médecin pédiatre. "Combien de fois je vois des jeunes en consultation avec un smartphone et entendre dire : je n’ai rien pu faire, c’est l’autre parent qui le lui a donné. Il y a donc une vraie responsabilité à tenir le même discours."
Les smartphones et les réseaux sociaux. C’est l’un des vrais changements pour les ados aujourd’hui. Comment ne pas tomber dans la dépendance et éviter des drames, comme ces deux jeunes filles décédées récemment après avoir vu des vidéos incitant au suicide ? "J’encourage vivement les parents à savoir comment fonctionnent ces réseaux." assure le Dr Pfersdorff, "car la majorité ne le savent pas. Sans les fliquer, mais savoir de quoi on parle et, sans interdire, les rendre vigilants." Une prudence confirmée par Solveig Foucher, qui recommande toutefois "de ne pas suivre ses enfants sur ces réseaux sociaux", qui font aussi partie de leur espace d’intimité. Rien n’empêche par contre d’entamer le débat sur telle ou telle influenceuse ou série télévisée. Une manière de s’intéresser à son univers sans être trop intrusif.
Réseaux sociaux, mais aussi sexualité, premières règles, orientation scolaire, relations parfois conflictuelles avec le reste de la fratrie, autant de motifs de tension auxquels les parents pourront être confrontés. Dans son livre, Solveig rappelle quelques bases : continuer à inclure l’ado dans un cadre familial en lui demandant son avis, comme le choix des vacances, l’ado détestant être oublié, même s’il ne le montre pas. Lui accorder des moments privilégiés, faire confiance et savoir parfois lâcher du lest. Mais -et surtout- maintenir "une présence discrète" et garder le lien coûte que coûte, à l’image d’une corde, ni trop serrée, ni trop lâche. En bref, l’adolescence, une deuxième naissance à accompagner, avant peut-être de regretter plus tard cette agitation, quand ils auront quitté le nid familial !
Pour aller plus loin :
"Pourquoi votre ado vous déteste parfois" de Solveig Foucher, aux éditions Mango
"Votre ado: le décrypter, le motiver, l'aider à s'accomplir" du Dr Arnaud Pfersdorff, avec l'expertise d'une vingtaine de professionnels de santé. Editions Hatier
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