"La Création d'Adam" de Michel-Ange, "La mise au tombeau" de Rubens ou encore la Chapelle du Rosaire d’Henri Matisse, autant de chefs d'œuvres de l'art sacré, que l'on peut mettre aussi à portée des enfants. Mais comment décrypter un tableau en fonction des âges et qu’on n’a pas forcément de culture religieuse ? En quoi cette découverte peut-elle être enrichissante pour comprendre le monde d'aujourd'hui ? L'éclairage de Claire Beyssac, médiatrice culturelle au Musée des Beaux-arts de Lyon et Françoise Barbe-Gall, historienne de l'art et auteure de "Comment parler de l'art et du sacré aux enfants ?"
Qu’entend-on d’abord par "Art sacré" ? S’agit-il uniquement d’œuvres d’illustration religieuse ? "Cela va plus loin que ça." estime Françoise Barbe-Gall. "Bien évidemment, pendant des siècles, c’est l’Eglise chrétienne qui va utiliser les images pour transmettre des leçons, des propos, pour frapper les esprits, les mémoires et les émotions des fidèles." Une fonction donc à la fois pédagogique et morale, avant l’invention du livre. "Mais le sacré, c’est plus large." rajoute -t-elle. "C’est quelque chose qui donnerait le sentiment d’une transcendance, d’une force et d’une puissance extérieure." Et de citer comme premier exemple, en ouverture de son ouvrage, "The Voice" de l’américain Barnett Newman, réalisé en 1950. Une toile entièrement blanche avec une mince bande grisée verticale symbolisant un espace intemporel, la naissance d’un monde et une voix divine qui la traverse.
Le sacrifice d'Abraham, l'Annonciation, la Nativité, la Passion du Christ. Autant de thèmes utilisés pour illustrer les récits bibliques. Mais quelle liberté avaient les peintres pour les traiter ? "Une liberté surveillée", souligne Françoise Barbe-Gall, "pour ne pas trahir le propos". Ce qui n’empêche pas d’innover. Comme « Le christ aux outrages » de Fra Angelico, datant de 1441 et d’une étonnante modernité, où l’on voit des mains sans corps frapper un Christ aux yeux bandés. Par la suite, la réforme protestante va simplifier l’imagerie avant que la notion de sacré ne s’oriente vers la représentation de la Nature, comme en 1822 "L'arbre solitaire » de l’allemand Caspar David Friedrich, scène située dans une vallée tranquille sur fond de montagne, invitant à la sérénité et la contemplation.
Mais pourquoi initier les enfants à l’art sacré ? D’abord, parce cette expression religieuse a modelé pendant des siècles les codes de l’art pictural. "Le langage visuel a été exploré, construit, déconstruit, réinventé constamment. Priver les enfants de cette connaissance, c’est les priver d’une richesse phénoménale." Et la conférencière de commencer souvent cette découverte en partant de publicités courantes, celles de savon, exaltant la pureté ou d’effets de lumière autour de parfums.
Reste que tous les enfants ne sont pas croyants et que les musées ne sont pas des lieux de culte. "Il faut respecter une certaine neutralité.", rappelle la médiatrice culturelle Claire Beyssac. "Donc pas de catéchisme devant les œuvres !" Mais "pas question non plus de déclarer que la religion n’est qu’une légende, pour se débarrasser du problème." souligne Françoise Barbe-Gall. Tout un équilibre donc à trouver entre respect des convictions et impartialité.
Comment en pratique aborder une œuvre d’inspiration religieuse ? Tout dépend de l’âge de l’enfant. Pour les plus jeunes, on peut évoquer les sensations "c’est beau", "ça brille", "c’est sombre" ou encore la description des personnages. Exemple avec "Jésus chassant les marchands du temple", tableau imposant de Jean Jouvenet datant de 1706, figurant au Musée des Beaux-arts. "Souvent, les enfants n’ont pratiquement aucune culture religieuse." explique Claire Beyssac. On part donc de l’agitation crée par la colère de Jésus et je leur demande: si des moutons, des vaches envahissaient la classe, que dirait la maîtresse ? Et je leur explique ensuite que le temple, c’est un peu comme une église, un lieu de culte et que des marchands y faisaient des affaires un peu frauduleuses, ce qui provoque la réaction violente de Jésus."
Autres portes d’entrée pour rentrer dans cet apprentissage : la variété des symboles insérés dans les tableaux : l’orage et la tempête, pour marquer la colère divine, le sentier sinueux, allégorie du cheminement vers Dieu, la balance, pour peser les fautes ou encore le crâne, pour évoquer le caractère éphémère de chaque chose. Sans oublier les animaux, comme le "Saint Jérôme dans son cabinet d'étude", huile sur bois d’Antonello da Massina, vers 1475, avec en premier plan deux oiseaux se tournant le dos, un paon avec sa queue signifiant les yeux de Dieu et la perdrix, oiseau réputé de mauvaise augure. Autant de détails qui suscitent questions et explications, comme une sorte "d’enquête policière" sourit Claire Beyssac, où l’enfant devient acteur de sa découverte.
Mais art sacré ou art tout court, comment inciter les enfants à aller au musée, sans que cela devienne une corvée ennuyeuse ? "Au musée des Beaux-Arts, nous avons mis en place tout une panoplie." explique Claire Beyssac, "avec des documents d’explication, des dessins, des collages, sur des œuvres sélectionnées pour être abordables. Et les familles sont ravies !" Une habitude qui "doit se prendre très jeune." complète Françoise barbe-Gall. "Il faut que ça devienne ordinaire, familier et que ce soit toujours comme une caverne d’Ali Baba, d'où ils pourront avoir des goûts différents des nôtres. Et tant mieux. Mais surtout ouvrir les portes !" Et que cela continue d’être un plaisir, divin ou pas !
"Comment parler de l’art et du sacré aux enfants" de Françoise Barbe-Gall, historienne de l’art et conférencière. Editions "Le Baron Perché" 2012. De Titien à Salvador Dali, en passant par Raphaël, le Caravage ou Nicolas Poussin, 30 fiches d’œuvres expliquées aux enfants, de 5 à 13 ans, voire plus !
Conférences tout public aussi en ligne à retrouver sur https://www.francoise-barbe-gall.net/i
Musée des Beaux-Arts de Lyon, avec visites commentées. A découvrir du 5 décembre 2024 au 2 mars 2025 l’exposition « Zurbaràn, réinventer un chef d’œuvre » autour de St François d’Assise. Toutes les infos sur https://www.mba-lyon.fr/
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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