Le harcèlement scolaire. Un véritable fléau qui a fait l'objet d'un nouveau plan de lutte interministériel présenté en septembre dernier. Mais si on entend beaucoup la parole des victimes, rares sont les témoignages des agresseurs. Mais pourquoi devient-on harceleur ou harceleuse ? Quels signes d'alerte en tant que parent ? Et quelles solutions pour y mettre fin ? Décryptage de Saverio Tomasella, psychanalyste et auteur de "Plus jamais harcelés" publié aux éditions Vuibert.
"Si un enfant est harceleur, c’est peut-être par vengeance … C’est aussi parce qu’il veut être remarqué … C’est parce qu’il trouve du plaisir à être méchant … ou encore parce qu’il ne supporte pas que les autres soient différents ?" Autant de points de vues recueillis dans une classe de CM2. Qu’en est-il réellement ? Eclairage d’un spécialiste, lui-même harcelé pendant trois ans au collège.
Entre 6 à 12% d’élèves victimes de harcèlement, dont 54 % au collège. Voilà pour les chiffres. Mais qui sont leurs agresseurs, les filles étant aujourd’hui presqu’aussi nombreuses que les garçons ? Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas seulement des petits caïds issus de quartiers difficiles. "Ce sont des enfants comme les autres, souligne Saverio Tomasella. Certains sont même de bons élèves, malins et brillants, mais qui se servent de leur intelligence pour s’en prendre aux autres."
Pourquoi alors cette volonté de nuire à répétitions ? Il y a d’abord un contexte social . Banalisation de la violence dans les media et les jeux vidéo, émergence des réseaux sociaux, mais aussi les différents confinements, qui ont conduit à une désocialisation et l’absence de règles. Le milieu familial joue aussi : "Plus de 50 % des harceleurs ont reçu des violences de la part de leurs proches, parents ou fratrie." Une brutalité qu’ils reproduisent à l’école. Influence aussi de propos racistes ou homophobes entendus à la maison et que "par loyauté", ils défendent à l’extérieur.
Mais l’environnement n’explique pas tout. Il y a aussi l’effet "populaire". Ce besoin de se mettre en avant, de se faire remarquer par ses camarades. Une image renforcée par les réseaux sociaux. Mais pour le psychanalyste, le fond du harcèlement tient à ce qu’on appelle la "faille émotionnelle". Un désarroi qu’un enfant va exprimer sans le cacher, comme une apparence physique ou une orientation sexuelle, ce que ne supportera celui qui du mal à l’accepter pour lui-même. L’harceleur va donc se servir de l’autre comme bouc émissaire de son propre mal-être. D’abord par des moqueries, avant de passer à des gestes plus violents.
Reste que l’harceleur agit rarement seul. Autour de lui, "une meute" constituée d’un noyau de camarades qui partagent au départ les mêmes affinités et qui l’encouragent par la suite comme meneur. Parmi ses membres également, d’anciens harcelés, qui "préfèrent passer dans le camp des bons, des dominants, pour ne plus revivre ce qu’ils ont souffert." analyse Saverio Tomasella. A noter enfin qu’harceleur et harcelé ont souvent été amis au départ. Mais l‘évolution différente de l’un a pu creuser un fossé entre les deux et entrainer une jalousie, à l’origine des futures agressions.
Comment pourtant expliquer que l’harceleur continue ses actions, avec ce sentiment de toute-puissance ? En premier lieu, l’absence de réactions des enseignants, qui minimisent les agressions ("ça passera") , sont pris par leurs propres préoccupations professionnelles ou encore peuvent avoir peur des menaces de bandes d’élèves. Mais l’attitude soumise du harcelé peut aussi alimenter la haine du persécuteur "Moins quelqu’un se défend, plus cela excite le sentiment de domination de l’agresseur qui considèrera qu’il n’y a aucun risque à frapper quelqu’un qui ne riposte pas." souligne Saverio Tomasella.
Comment alors stopper le processus ? Punir avec des heures de colle à l’école ou l’interdiction du portable à la maison ? "Une solution qui marque les limites, mais qui peut conduire l’agressé à se venger sur sa victime" estime Saverio Tomasella. Mieux vaut jouer la carte de la compréhension et ce, dès les premiers signes, quand les parents constatent qu'un de leurs enfants s’en prend régulièrement à ses frères et sœurs, voire un ami. "Il faut alors questionner", conseille le psychanalyste. "Qu’est-ce qui t’arrive ? Qu’est-ce que tu ressens dans ces moment-là ? Comment pourrait-on t’aider ?"
Une approche non blâmante, qui rejoint celle développée par la MPP, Méthode de Préoccupation Partagée inspirée du Danemark. Son but : entendre les deux parties séparément et conduire l’harceleur à prendre conscience de ses actes et à rechercher des solutions. Une démarche qui serait efficace dans 84 % des cas. Ce que résume Emma, élève de CM2 : "Il faut que l’harceleur se mette à la place du harcelé." Un premier pas fondamental pour que cesse un enfer et ses traces bien au-delà du collège ...
Pour aller plus loin :
"Plus jamais harcelés - En finir avec la maltraitance entre adolescents" de Saverio Tomasella. Un guide pratique illustré de nombreux témoignages qui décrit la mécanique du harcèlement et l'influence des émotions. Publié aux éditions Vuibert. 2022
"Le Yalla Tour contre le harcèlement". Un tour de France mené par l'association Asmae créée par Soeur Emmanuelle et qui sensibilise de manière très concrète les élèves de collège et lycées aux situations d'agressions.
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