Depuis la sortie du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (CIASE) en octobre 2021, la parole se libère progressivement en France concernant les agressions sexuelles sur mineurs. Après cette libération de la parole, les victimes doivent-elles aller jusqu’au pardon de leur agresseur ? Est-ce une condition nécessaire pour aller mieux ? Et l’agresseur dans tout ça ? Jacques Lecomte, docteur en psychologie, nous éclaire. Il est l'auteur notamment de "La Bonté humaine - Altruisme, empathie, générosité" (éd. Odile Jacob, 2012) et de "La résilience - Se construire après un traumatisme" (éd. Rue d'Ulm, 2020).
La journée du 5 octobre 2021 restera gravée dans la mémoire collective. Ce jour-là à 9h,Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase remet publiquement son rapport. Les chiffres annoncés sont accablants : la France compte plus de 216.000 victimes d'abus sexuels commis par des prêtres ou des religieux depuis 1950. Ce chiffre passe à 330.000 si on ajoute les victimes de laïcs en mission d'Église.
Réunis en Assemblée plénière à Lourdes en novembre 2021 les évêques de France ont reconnu la "responsabilité institutionnelle" de l'Église concernant les nombreux abus sexuels commis en son sein. Depuis Eric de Moulins Beaufort a annoncé la création d'une instance indépendante nationale chargée de la reconnaissance et de la réparation des victimes.
Le mot pardon veut dire "donner au-delà de". Lorsqu'on évoque des sujets aussi complexes que la pédocriminalité, comble de l'horreur, on mesure la puissance cette étymologie qui démontre le caractère presque impossible de l'acte de pardonner.
À la question "doit-on pardonner" le docteur en psychologie Jacques Lecomte répond "qu'il n'y a pas de devoir de pardonner". Cette volonté est propre à la liberté de chacun. Savoir si l'on "peut" pardonner est une autre question, une démarche très personnelle.
Pour Jacques Lecomte il y a différentes raisons qui mettent les victimes sur le chemin du pardon. Pour certain il peut y avoir un rapport ambivalent avec l'agresseur. "L'agresseur est perçu non seulement comme un agresseur mais aussi comme une personne "bonne" explique le psychologue. Les agresseurs étant souvent dans l'entourage proche de la victime et n'étant pas uniquement une source de souffrance la victime peut "vouloir essayer de garder aussi en tête et de valoriser le côté lumineux de ces personnes" précise-t-il.
Une chose qui revient également souvent dans cette démarche de pardon est "la souffrance ressentie par la haine". Les personnes décident de pardonner afin de sortir de l'emprise psychologique qui les ronge, pour pouvoir avancer.
Enfin le psychologue note que pour les victimes croyantes, le pardon est une source de résilience importante où Dieu les "invite et surtout leur donne la force de pardonner".
Il est important de différencier le pardon de "décision" du pardon "d'émotion". Le premier est une volonté, un choix posé rationnellement par la personne. Le pardon émotionnel lui est "un sentiment de libération, de bien-être, d'absence d'amertume" qui prend beaucoup plus de temps et sur lequel la victime à moins d'impact concret. Pour autant, il n'y a pas de "modèle" ou de parcours de pardon à suivre. Cela dépend de chacun, de l'expérience traumatisante vécue et de sa disponibilité psychologique.
On pourrait penser que le fait de l'exprimer à son agresseur symbolise la fin du processus de pardon. Pour Jacques Lecomte cela n'est pas toujours nécessaire car le pardon est quelque chose de très personnel. Par exemple, si l'agresseur est décédé, le pardon de la victime ne lui sera jamais exprimé ce n'est pas pour autant qu'il est invalide. Par ailleurs, une personne peut pardonner dans son for intérieur sans pour autant l'exprimer. Enfin, le psychologue Jacques Lecomte rappelle qu'on peut également pardonner sans que l'agresseur ait nécessairement demandé pardon. Le pardon est avant tout une démarche pour et à soi.
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