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Le déni occidental de la guerre

Un article rédigé par Jeanne d'Anglejan - RCF, le 14 février 2023 - Modifié le 18 mars 2024
Les Racines du présentD'hier à aujourd'hui, le déni occidental de la guerre

Quand, il y a un an, la Russie a tenté d'envahir l'Ukraine le 24 février 2022, nous avons été incrédules. Tous - hommes politiques, journalistes, universitaires, etc. - nous n'avons pas cru à cette guerre car elle semblait irrationnelle. Pour l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau, nous avons eu la même attitude que certains pacifistes en 1914, juste avant la Grande Guerre. Il analyse ce déni occidental de la guerre.

Volodymyr Zelensky reçu à l'Élysée, le 08/02/2023 ©Nicolas Messyasz / Hans LucasVolodymyr Zelensky reçu à l'Élysée, le 08/02/2023 ©Nicolas Messyasz / Hans Lucas

"Je suis surpris de notre surprise : on sait sans savoir tout en sachant..." Le 28 février 2023, cela fera un an que la guerre est à nouveau là, aux portes de l'Europe. Auteur de "La Part d'ombre - Le risque oublié de la guerre" (éd. Les Belles lettres), Stéphane Audouin-Rouzeau se dit "très frappé par notre incrédulité face au déclenchement de la guerre d'Ukraine", estimant que l'on refuse "l'événement potentiel". Pour lui, la société actuelle est très proche de celle de 1914, dans la mesure où elle consent à la guerre et pousse à la haine de l'envahisseur. L'Ukraine traverse la "pire situation que des corps peuvent endurer pendant des mois, voire des années". L’historien estime que la souffrance des soldats ukrainiens est invisibilisée, que la vie combattante "nous reste relativement cachée". Cela, encore, rappelle 1914.

 

La Grande Guerre, dernière catastrophe pour les Français ?

 

"La Première Guerre mondiale est la dernière catastrophe pour la France : c'est le dernier événement historique qui nous sert de référent". Petit-fils de poilu, Stéphane Audouin-Rouzeau est aujourd’hui directeur d’études à l’Ehess et spécialiste de la Grande Guerre. Profondément ancrée dans la mémoire des Français, elle s'impose comme un mythe du paysage historique.

 

Par la violence de ses combats, la Première Guerre mondiale est inédite. Les canons s'invitent comme de nouvelles armes sur le champ de bataille, poussant à une mise à mort anonyme et massive. Aujourd’hui, il s’agit de l’arme qui domine en Ukraine. Dès 1914 se développe une forme de mépris pour la vie humaine, muée en principe d’élimination de l’adversaire politique. C’est dès la Révolution française que la guerre s’idéologise et prend un sens. La défense de la nation pousse tous les membres de la société à s’impliquer : la guerre change de nature et de taille. Beaucoup parlent de 1914-1918 comme d'un "hachoir humain". La "der des der" se caractérise par des sièges longs, de longs mois d’immobilité dans des tranchées, qui tuent et démoralisent les soldats.

 

Après 1945 se fait sentir une "rupture du lien générationnel", estime Stéphane Audouin-Rouzeau. La fin du service militaire instaurée par Jacques Chirac en 1997 contribue à la déprise de la guerre dans la société, et ce "malgré la guerre froide, qui justement est froide".

 

Comment lutter contre l’indifférence face à la guerre ?

 

"Un niveau élevé de culture ne protège pas d’une dynamique de haine." Selon l'intervenant et au regard de notre histoire, il n'est pas étonnant de trouver parmi ceux qui ont planifié la mort de masse des intellectuels : "ce ne sont pas des brutes. Ils justifient l’élimination de l’autre d'une façon très élaborée."

 

Ainsi, le génocide du Rwanda a montré que trois catégories d’élites socio-culturelles étaient engagées dans le conflit : des prêtres, des universitaires et des médecins. La Russie veut voir émerger un fort sentiment anti-ukrainien, faisant passer le peuple envahi comme le supposé barbare. Et inversement. Stéphane Audouin-Rouzeau cite Freud, qui disait qu'une différence mineure entre deux peuples provoque une "anxiété intolérable qui peut conduire au meurtre".

 

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