Tabou du sang, impureté, exaltation de la virginité... Pour la théologienne Anne-Marie Pelletier, ces conceptions "archaïques" (c'est-à-dire très anciennes) persistent encore aujourd'hui dans l'Église catholique. Pourtant, les évangiles, si on les lit bien, nous en libèrent.
Auteure du livre, "L'Église et le féminin - Revisiter l'histoire pour servir l'Évangile" (éd. Salvator, 2021), Anne-Marie Pelletier n'aime pas dire qu'elle est une militante féministe, mais qu'elle défend la tradition biblique. Exégète et théologienne, docteur en science des religions, elle questionne la place des femmes aujourd'hui dans l'Église à l’aune de la révélation biblique.
L'ouvrage d'Anne-Marie Pelletier est paru le 23 septembre 2021, quelques jours avant la publication du rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l'Église. Cette "actualité de l’Église, tellement chaotique et difficile, il s’agit d’y répondre", affirme la théologienne. Et pour elle, "une manière d’y répondre, c’est certainement de regarder du côté des relations que l’Église au long de son histoire a entretenues avec les femmes". À l'automne 2021, les évêques de France ont reconnu "le caractère systémique et la responsabilité institutionnelle de l'Église" au sujet des agressions pédocriminelles. Pour Anne-Marie Pelletier, "ce qui est en cause dans le temps présent c’est un certain ordre ecclésial... Et dans cet ordre ecclésial bien sûr est impliquée la relation entre les hommes et les femmes." Pour la spécialiste en science des religions, ce qui est "aujourd’hui problématique" est "la reconnaissance" de la place des femmes dans l’institution.
Par ailleurs, la parole des femmes se libère dans nos sociétés occidentales. Et l’Église est nécessairement "impactée - et heureusement impactée", note Anne-Marie Pelletier. "Ce souci des femmes aujourd’hui rejoint l’institution ecclésiale et l’oblige à voir ce qu’elle n’avait pas toujours voulu voir et à revisiter un certain nombre de ses discours." Et si le temps était venu de considérer tous les préjugés si profondément ancrés dans les imaginaires au sein de l'Église catholique ?
Aborder la question du féminin et du masculin c’est en effet se placer devant "un face à face anthropologique fondamental". Une question complexe, ancienne. Ainsi, la capacité qu’ont les femmes à enfanter renvoie à une peur archaïque. "Enfanter, c’est enfanter un être pour la vie et aussi pour la mort, observe Anne-Marie Pelletier, je pense que dans les cultures humaines les hommes, au sens masculin du terme, se battent un peu avec ça." Et le récit de la Genèse, où Ève écoute la parole du serpent, ne fait qu’alimenter "l’hostilité à l’égard des femmes", vues comme dangereuse et "spécialement sensibles à la transgression de la parole et au péché".
La femme c’est aussi le tabou du sang, lié aux notions de pureté et d’impureté. "Dans l’Ancien Testament c’est une question qui est très prégnante", observe Anne-Marie Pelletier, notamment dans le Livre du Lévitique, où il y a "des chapitres entiers sur l’impureté des femmes". Aujourd’hui encore, "cette affaire de l’impureté des femmes continue à trotter dans la tête", selon la théologienne, qui cite les débats sur l’accès des filles à l’autel. "On en fait des servantes d’assemblée et surtout pas des servantes d’autel."
Également très ancrée dans le catholicisme, la célébration de la virginité. Pendant des siècles, la virginité de la femme a été considérée comme l’état le plus enviable et le plus respectable. Elle continue à être valorisée dans l’Église. "Cela nous confronte à des choses très profondément ancrées dans les cultures patriarcales, à ce contrôle que les hommes exercent ou sont censés exercer ou veulent exercer sur le corps des femmes." Vers le IVe siècle, des chrétiennes ont pu ne pas se marier ni vivre sous l’autorité d’un homme. Cela peut être vu comme "une véritable libération" apportée par le christianisme. Mais "une théologie ou une spiritualité de la virginité des femmes" a été "élaborée - par des hommes", précise Anne-Marie Pelletier. Et devant cette exaltation de la virginité des femmes, "on a quelques raisons d’être soupçonneux", tant elle est vue comme une vie "quasiment angélique". De même il y a "tout un imaginaire" autour de la virginité de Marie, "qu’il faut aujourd’hui réinterroger". "À titre vraiment personnel, confie la théologienne, j’ai le sentiment d’un certain emballement de l’imaginaire."
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Ainsi, au cours de l’histoire de l’Église, on a mis l’accent sur la virginité comme synonyme d’intégrité physique, et la corrélation s’est imposée entre sainteté et célibat. "L’histoire premiers siècles dans le christianisme, ça va être un renoncement progressif à la chair", comme le dit Anne-Marie Pelletier d'après le titre de l'ouvrage de Peter Brown, "Le renoncement à la chair" (éd. Gallimard, 1995). Et ce qui a concerné les femmes a été transposé aux hommes. C’est autour du XIe siècle que le célibat des prêtres s’est imposé, sans doute renforcé par le fait que Jésus n’était pas marié.
Le célibat de Jésus est "un signe de liberté par rapport aux habitudes de son temps", note Anne-Marie Pelletier, mais cela ne signifie pas qu’il faut blâmer la chair. Au contraire, "il n’y a aucun mépris pour Jésus à l’égard des femmes, de la chair". La spécialiste rappelle que le christianisme est "par excellence la religion de l’incarnation" et "a pensé la chair de façon positive, paisible et heureuse". Ainsi, Jésus dépasse le tabou de l’impureté des femmes. Quand la femme hémorroïsse vient toucher le vêtement de Jésus, elle s’en trouve guérie. Et Jésus va même jusqu’à lui dire : "Ma fille, ta foi t’a sauvée" (Mc 5, 34). "On voit combien Jésus est libre par rapport à ce tabou et nous en libère ou plutôt est censé nous en libérer…"
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D’ailleurs le rapport de Jésus aux femmes est "assez énigmatique" pour l’époque, admet Anne-Marie Pelletier. "Que des hommes suivent le Christ au long de sa prédication et de son ministère public, cela se conçoit ; que des femmes emboîtent le pas c’est quand même beaucoup plus surprenant !" Certaines de ces femmes, et en premier lieu Marie de Magdala, ont été enseignées, tout comme les disciples. "Elles ont été à l’écoute de Jésus comme de vraies disciples même si elles ne portent pas le titre de disciples."
"Il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus", écrit saint Paul (Ga 3, 28) – Paul dont "il faut corriger la réputation de misogyne", selon Anne-Marie Pelletier. En écrivant cela, Paul déclare que les hommes comme les femmes ont "le même accès à Dieu" et la "même égalité baptismale", explique la théologienne. "Nous touchons là à la nouveauté chrétienne. "
Ce qui est tout à fait extraordinaire, c’est de voir comment, à l’intérieur de ce monde forcément patriarcal, la révélation biblique trace un chemin, traverse tout cela en direction de quelque chose d’autre...
D’où vient que "cette belle égalité des fils et filles de Dieu" prêchée par Paul a laissé place à 2.000 ans de mise à l’écart du féminin ? Pourquoi cette liberté des premières communautés chrétiennes s’est-elle perdue ? Comme l’a montré Françoise Héritier, "la différence sexuelle est structurante dans notre humanité", rapporte Anne-Marie Pelletier. Et "elle a toujours été élaborée sous la forme d’une hiérarchie défavorable aux femmes".
Il ne faut donc pas s’étonner si les Écritures bibliques "reconduisent à certains égards le schéma patriarcal". "Mais ce qui est tout à fait extraordinaire et à mon sens vraiment très passionnant, c’est de voir comment, à l’intérieur de ce monde forcément patriarcal, la révélation biblique trace un chemin, traverse tout cela en direction de quelque chose d’autre." Il y a donc urgence à relire les textes, et notamment la Genèse. Des textes "extraordinairement fins et intelligents" souligne Anne-Marie Pelletier, qui "peuvent être lus à charge pour la femme comme on dit", mais qui peuvent aussi rejoindre les femmes d’aujourd’hui. "L’institution doit se laisser impacter par cette parole de l’Évangile."
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