Vivons-nous en France dans une société patriarcale ? Le patriarcat est-il nécessairement violent à l’égard des femmes ? Et qu'en est-il de l'Église catholique : est-elle patriarcale ? Chaque année, ce sont 93.000 femmes qui sont victimes de viol ou de tentative de viol dans notre pays. Pour protester contre les violences sexuelles et sexistes, le collectif #NousToutes lance une journée nationale de manifestation, ce samedi 19 novembre.
Le patriarcat "c’est un système d’écrasement des femmes" et "d’accaparement de tous les pouvoirs", décrit Christelle Taraud. Historienne et féministe, spécialiste de l’histoire des femmes, elle vient de publier "Féminicides - Une histoire mondiale" (éd. La Découverte). Partout dans le monde, il existe des "régimes patriarcaux de basse intensité", où les femmes ont "un certain nombre de droits, qui sont respectés à partir du moment où elles ne dérogent pas à la féminité qui a été en réalité mise en place par les hommes au sein des régimes de force". Mais l’historienne distingue ces régimes des "patriarcats de haute intensité". Ce sont des systèmes "prédateurs et agressifs" à l’égard des femmes - et aussi entre eux : il y a concurrence entre systèmes patriarcaux.
Selon les archéologues et historiens du féminisme, le système patriarcal remonte au Néolithique. "Ça veut dire que l’humanité, dès son origine, a fait ce choix de force pour constituer les sociétés humaines, souligne Christelle Taraud, ce choix nous le payons au prix lourd aujourd’hui puisqu’il a conduit à ravager les relations entre les êtres humains, en particulier les relations entre les femmes et les hommes, et la planète."
En France, le patriarcat est extrêmement présent
Certes, l’égalité hommes-femmes est inscrite dans la loi. Mais pour Christelle Taraud, il suffit d’observer "n’importe quel domaine de la vie d’une femme aujourd’hui en France pour se rendre compte qu’il n’y a aucun égalité" entre les femmes et les hommes. "Le patriarcat est extrêmement présent", affirme l’historienne, et s’il est "en partie occulté, en partie banalisé", c’est parce que notre pays est "construit sur une mythologie qui est précisément l’égalité", et notamment l’égalité entre les femmes et les hommes. L’historienne de raconter le récent témoignage d’une jeune fille venue porter plainte pour viol dans un commissariat de police, à qui l’on a d’abord demandé comment elle était habillée… "Ça veut dire que la coupable, c’est elle", commente l’auteure de "Féminicides - Une histoire mondiale".
Et l’Église catholique dans tout ça ? Les religions sont souvent pointées du doigt comme des lieux où se déploie pleinement le système patriarcal. Dans le cas du catholicisme, "ça me paraît tout à fait patent", considère Anne-Marie Pelletier, docteure en science des religions et auteure de "L’Église et le féminin - Revisiter l’histoire pour servir l’Évangile" (éd. Salvator, 2021). "À partir du moment où tout le pouvoir est concentré entre les mains des hommes, ils disposent des femmes, et en particulier ils disposent du corps des femmes, dit-elle, le contrôle des hommes sur le corps des femmes… nous en avons quand même un exemple patent dans le monde catholique et dans une certaine morale sexuelle."
L’Église catholique par son histoire, son organisation, par sa théologie aurait donc une responsabilité dans ces violences ? "Dans la mesure où elle a régné très largement sur la culture et sur la société, bien entendu", confirme Anne-Marie Pelletier. Elle rappelle qu’au sein de l’institution religieuse, "le pouvoir, l’autorité, la parole, tout cela revient à des hommes, à une certaine caste d’hommes qui est la caste sacerdotale".
Dans la tradition chrétienne il y a un certain nombre de ressources, à la fois pour faire le procès de ce patriarcat et pour en sortir…
Est-il dans la nature des hommes d’être violent ? Faut-il sortir du système patriarcal pour en finir avec les violences faites aux femmes ? À entendre Christelle Taraud, le patriarcat est bien un système de pouvoir, basé sur ce qu’elle nomme le "continuum féminicidaire", où, "de la naissance à la mort, les femmes sont impactées par toute une série de violences" - de la simple gifle au meurtre, en passant par les fœticides ciblés en fonction du genre. Ainsi, les violences conjugales sont-elles des violences "de propriétaire", conclut l'historienne : "Il s’agit de pouvoir, il ne s’agit pas d’amour..."
Il reste beaucoup à faire pour que les choses changent, comme le dit Christelle Taraud. Et pour que l’on ne tombe ni dans une guerre des sexes ni dans un renversement des pouvoirs. Nous ne sommes qu’aux balbutiement d’un mouvement qui aspire à faire vivre vraiment l’égalité entre les hommes et les femmes. Depuis #MeToo, en effet la parole des femmes se fait entendre et il semble que la jeune génération soit moins encline à tolérer la domination masculine.
Au sein de l’Église on peut espérer du synode sur la synodalité (qui doit s’achever en octobre 2023) que les choses changent. Parmi les avis et les souhaits recueillis auprès des fidèles en vue de ce synode, "la question des femmes - expression qu’Anne-Marie Pelletier n’aime pas trop, précise-t-elle - revient de façon très insistante et très systématique". Pour la spécialiste des sciences des religions, "à l’évidence c’est un problèmes et c’est un défi du monde catholique aujourd’hui". Problème qui est loin d’être réglé au sein du christianisme, si l’on en croit "toute une littérature masculiniste, qui fait florès". Littérature qui n’hésite pas à prendre appuis sur les Écritures, note Anne-Marie Pelletier pour "rappeler aux hommes les grands modèles de virilité". Ceci semble d’autant plus regrettable que, "dans la tradition chrétienne il y a un certain nombre de ressources, à la fois pour faire le procès de ce patriarcat et pour en sortir…"
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