Comment construire une parentalité numérique positive ?
En partenariat avec Collège des Bernardins
En partenariat avec Collège des Bernardins
Omniprésents dans nos vies, les outils numériques modifient en profondeur notre rapport au monde, à soi et aux autres. Sans cesse captés par des notifications, attirés par les écrans, nous en venons à vivre à l'extérieur de nous-mêmes. Au point parfois de ne plus voir que l'enjeu de toute vie humaine est de se frotter à la réalité, d'être relié aux autres, de prendre soin de son âme et de ce qui se passe au plus profond de soi...
À 7h ce n'est plus le réveil qui sonne, c’est l’alarme programmée du smartphone. Les yeux à peine ouverts, il regarde son écran pour vérifier les messages reçus sur WhatsApp et les dernières notifications Twitter et Facebook. "Bonjour Alexa" lance-t-il à son enceinte connectée pour allumer sa radio au moment de prendre son petit-déjeuner. Dans le métro, le casque bluetooth sur les oreilles, il écoute un podcast tout en regardant une myriade de photos et de vidéos sur Instagram, le corps serré contre ceux des autres passagers dont les visages sont éclairés par la lumière bleutée des pixels. Après une journée de travail devant un écran et un déjeuner le portable bien calé au bord de l’assiette, il regarde une série en famille. La liseuse s’invite jusque dans son lit où il s’endort enfin. C’est une journée banale d’un habitant de la Terre en 2023. Une journée qui ressemble à tant d’autres...
En quelques années le numérique a envahi nos vies. Et si on faisait une pause pour en parler ? Jusqu’où le numérique bouleverse-t-il en profondeur notre humanité ? "Numérique, qu’as-tu fait de notre âme ?", c’est le thème d’une table-ronde animée par Philippe Lansac, le directeur éditorial de RCF, au Collège des Bernardins à Paris, avec Jean-Guilhem Xerri, médecin, psychanalyste, ancien président de l’association Aux captifs, la libération, auteur de nombreux ouvrages dont "La vie profonde – La santé spirituelle au quotidien" (éd. Cerf, 2021) et Laurent Stalla-Bourdillon, prêtre et théologien, directeur du Service pour les professionnels de l’information, créé en 2018 par le diocèse de Paris.
RCF et le Collège des Bernardins ont organisé, le 1er février, une journée de réflexion sur l'impact du numérique dans nos vies, sur le thème : "Numérique : anti/accro, trouver sa voie". Au programme, des tables-rondes avec des instituteurs, psychanalystes, prêtres, philosophes et journalistes pour réfléchir à notre rapport au numérique tant au niveau de notre parentalité, que de notre spiritualité et humanité en général.
Sous l’effet conjugué d’un temps de plus en plus long (multiplié par 10 depuis les années 1800) que l’on peut consacrer aux loisirs et de la multiplication des informations, c’est un véritable marché qui s’est mis en place. Le marché cognitif, rappelle Jean-Guilhem Xerri (d’après une expression du sociologue Gérald Bronner). Dans ce marché, "le point nodal", c’est notre attention. On parle d’une économie de l’attention pour désigner ce système où un objet qui bénéficie de notre attention prend de la valeur. Aujourd’hui ce sont les écrans qui captent notre attention.
"Télévisions, ordinateurs, smartphones : tous les écrans ont besoin de notre attention et pour capter notre attention ils utilisent les invariants cognitifs", explique Jean-Guilhem Xerri. Les invariants cognitifs, ce sont des données vraies et vérifiables dans toutes les sociétés humaines, quels que soient l’époque, les continents ou la culture. Ainsi, ce qui mobilise le cerveau d’un être humain partout et depuis la nuit des temps, c’est le sexe, les conflits, la peur et le narcissisme – dans l’histoire de l’humanité, c’est ce qui a permis à l’espèce humaine de perdurer. Or, si l’on observe bien de quoi il est question sur les réseaux sociaux, ce sont précisément ces thèmes-là qui font le plus réagir les internautes.
On en parle trop peu comme conséquence du numérique, mais le communautarisme en est l’un des effets
L’usage du numérique – on n’est pas loin d’une forme d’aliénation estiment Jean-Guilhem Xerri comme Laurent Stalla-Bourdillon – a des conséquences sur la santé, il nous rend plus sédentaire, mais aussi sur notre psychisme et notre vie sociale. Le numérique "ne fait que favoriser les biais cognitifs", soit une "distorsion dans le traitement d'une information, susceptible de fausser le raisonnement et le jugement", d’après la définition du dictionnaire Le Robert. "On en parle trop peu comme conséquence du numérique, Jean-Guilhem Xerri, mais le communautarisme en est l’un des effets." Ainsi que la "dictature de l’instantanéité", c’est-à-dire "une incapacité à relire le passé posément à se projeter dans le futur".
Dans ce monde où notre attention est en permanence attirée, captée, par le smartphone, "le centre de gravité de nos existences s’est progressivement déplacé", analyse Laurent Stalla-Bourdillon. La conséquence, c’est que nous sommes "tirés à l’extérieur de nous-mêmes". Notre usage du numérique "se fait aux dépends d’une capacité d’intériorisation c’est-à-dire de recueillement en soi et d’analyse au fond de soi de ce que nous sommes en train de vivre".
"Je devrais, avant de me servir de l’outil [numérique] savoir qui je suis, estime le théologien, qu’est-ce que j’ai à vivre ? Qu’est-ce que j’ai à accomplir en moi ? Qu’est-ce que c’est que ma vie et à quel titre est-ce que l’outil dont je dispose est au bénéfice de ma propre croissance comme personne ?" Autant de questions que le numérique, ou plutôt l’usage que l’on en fait aujourd’hui, nous empêche de formuler. Pour Laurent Stalla-Bourdillon, "on pourrait presque dire que l’outil nous aliène parce que pour fonctionner il a besoin d’un utilisateur et nous sommes cet utilisateur".
Une vie numérique c’est une vie intérieure bousculée par les "perturbateurs de l’intériorité", selon la formule de Jean-Guilhem Xerri. De la même manière qu’il existe des perturbateurs endocriniens que l’on absorbe ou que l’on inhale sans s’en rendre compte, et qui modifient notre physiologie, les perturbateurs de l’intériorité viennent "déséquilibrer notre mental, notre psychisme, notre vie spirituelle et notre vie sociale".
→ À LIRE : Jean-Guilhem Xerri, médecin du corps, médecin de l'âme
"Ça ne durera peut-être pas dans le temps", peut-on espérer avec le Père Stalla-Bourdillon. Mais il semble que "nous n’avons pas encore naturellement la faculté de mise à distance, donc on en est captifs" de ces outils numériques. Ainsi, ils s’interposent entre nous et notre environnement. "Il y a une altération de la relation à l’environnement, observe Laurent Stalla-Bourdillon. Et l’environnement de l’être humain, c’est un environnement à la nature, aux autres, dans les relations sociales qu’on a avec les autres, avec la présence physique des autres. C’est une relation à soi, c’est une relation dans une descente à l’intime de soi-même où on recueille justement ce que nous expérimentons dans les relations avec l’environnement et avec les autres."
Finalement, dans cet univers "connecté", il y a une altération de la relation à l’âme. "Parce que nous avons une âme, nous sommes capables d’élaborer à l’intime de nous-mêmes une parole qui contient le sens de l’existence. Donc nous vivons à partir de la parole de sens que nous donnons. Et si je ne nourris pas cette parole, en fait je ne vis pas à l’intérieur de moi-même, je vis par l’extériorité." On le voit, l'enjeu est décisif car les conséquences sont d'un ordre métaphysique. "Cette élaboration intérieure d’une parole, c’est ça la grande œuvre de l’âme humaine", rappelle le Père Laurent Stalla-Bourdillon. Pour lui, on en arrive, avec l'usage excessif du numérique, à "une altération de la relation au grand mystère de Dieu, c’est-à-dire, à l’énigme du sens".
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