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Comment construire une parentalité numérique positive ?

Un article rédigé par Jeanne d'Anglejan - RCF, le 3 février 2023 - Modifié le 17 juillet 2023
Numérique : Anti / accro, trouver sa voieComment construire une parentalité numérique positive ?

Face à la montée en puissance des smartphones et des tablettes, les parents peinent parfois à trouver un équilibre, pour eux comme pour leurs enfants. On parle de parentalité numérique pour désigner les règles que les parents mettent en place sur l'usage des outils numériques par leurs enfants. Comment construire une parentalité numérique positive ? C'est le sujet d'une table-ronde proposée par RCF et le Collège des Bernardins.

Étienne Pépin anime la table-ronde "Comment construire une parentalité numérique positive ?" au Collège des Bernardins, le 01/02/2023, Paris ©RCFÉtienne Pépin anime la table-ronde "Comment construire une parentalité numérique positive ?" au Collège des Bernardins, le 01/02/2023, Paris ©RCF

 

À l’école et à la maison, "les écrans font écran"

 

Les chiffres moyens sont alarmants : en France, on compte plus de sept écrans par famille. Le premier smartphone est reçu vers 10 ans, et les enfants sont confrontés à la pornographie dès l’âge de 8 ans. Les 16-24 ans passent en moyenne 10 heures par jour sur des écrans. "C’est l’enjeu central de nos familles au quotidien : on est tous témoins de ces changements." Florent Souillot est responsable numérique aux éditions Gallimard Flammarion. En 2018, il fonde l'association Lève les yeux, qui sensibilise aux risques des écrans. "Tout n’est pas mauvais dedans mais il y a quelque chose de dangereux", souligne-t-il. Depuis le Covid, les chiffres moyens ne font qu’augmenter : au travail, à l’école ou à table, les écrans se sont invités partout.

 

 


Colloque "Numérique : anti/accro, trouver sa voie"

RCF et le Collège des Bernardins ont organisé, le 1er février, une journée de réflexion sur l'impact du numérique dans nos vies, sur le thème : "Numérique : anti/accro, trouver sa voie". Au programme, des tables-rondes avec des instituteurs, psychanalystes, prêtres, philosophes et journalistes pour réfléchir à notre rapport au numérique tant au niveau de notre parentalité, que de notre spiritualité et humanité en général.

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Après une longue carrière de businessman, Gilles Vernet s’est reconverti : il est instituteur en classe de CM2 à Paris. En 2016, il réalise avec ses élèves le film documentaire "Tout s’accélère". Ils y racontent la course contre le temps, la montée en puissance du numérique. Il est témoin de ce qui se passe dans les écoles : "Le numérique est plus ou moins mis à disposition des enseignants. Certains ne l’utilisent pas forcément." Gilles Vernet n'y recourt que rarement, "pour projeter une vidéo ou une peinture". Si l’instituteur estime que "l’école a beaucoup résisté", Florent Souillot est plus mitigé : "Les retours de terrain qu’on a sur l’école sont un peu plus alarmants que ce qu’avance Gilles." Un professeur pourrait ainsi risquer un blâme s’il refusait d’utiliser des supports avec ses élèves.

 

Ce que ça dit de nos rapports humains

 

Les écrans s’invitent dans les mains des plus jeunes, laissant transparaître des conséquences dès l’enfance. "La concentration dans les classes se dégrade continuellement", déplore Gilles Vernet. Parmi les changements dans l'attitude des enfants, on compte l’incapacité d’éprouver de l’empathie, la baisse de l’estime de soi. Les traumatismes vus à l’écran empêchent les enfants de dormir, qui arrivent fatigués à l’école. "Le plus dangereux, c’est la petite enfance", alarme l’instituteur, qui constate que les enfants sont "simplement gavés d’écrans" et n’entretiennent plus de lien avec le réel.

 

Cet isolement des élèves entre eux découle bien souvent du comportement des parents. "Chez eux, les enfants font face à des murs : les frères et sœurs pianotent sur les smartphones, les parents sont sans cesse déconcentrés par des notifications." Le développement exponentiel des communications ne pousse pas à une parentalité numérique positive, estiment les intervenants.

 

"Quand on parle mal, on pense mal", disait George Orwell. Les "communications" par SMS, messages Whatsapp ou sur les réseaux sociaux ne font que réduire nos échanges langagiers. C’est une notion clé pour comprendre pourquoi on ne parle plus dans les familles. Le langage ne se construit plus, les échanges s’appauvrissent. Pour Gilles Vernet, le flux d’informations contradictoires questionne ce qu’est la vérité. Il rapporte cette phrase d’Arendt : "Quand tout le monde vous ment en permanence... le résultat est un peuple... privé de ses capacités d’agir, de penser et de juger. Avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez."

 

Un problème politique ?

 

"Les conséquences sur la démocratie sont nombreuses", souligne Florent Souillot. Twitter, dirigée par "un partisan de la liberté d’expression plus que de la démocratie", est devenue la nouvelle agora publique, façonnant nos existences. L’homo numericus est victime d’endroits pensés et modélisés par des entreprises privées aux ambitions économiques. "Ces outils ne sont pas neutres", alerte Florent Souillot : "ils sont conçus pour pour faire du profit et suivre un but politique". Dans "En finir avec la guerre de l'attention" (éd. L'échappée), il décrypte et étudie ces phénomènes.

 

Dès l’université, des personnes sont formées pour créer des addictions : c’est la "captologie". Au sein des entreprises, des experts en psychologie cognitive étudient le régime de l’émotion pour rendre les utilisateurs dépendants. Ces "marchands d’attention" étudient nos désirs, poussant à la comparaison. "Personne n’est un utilisateur éclairé des réseaux sociaux", note Gilles Vernet : "une force doit venir protéger les citoyens". C’est à l’État d’agir pour cet "enjeu de santé publique". Les parents ont aussi leur rôle à jouer, "mais sans mesure collective de prévention ça n’aura pas grand effet".

 

Éduquer les parents, une solution parmi d’autres

 

La santé, la mémoire, l’écriture, la capacité à faire communauté ou supporter le temps long sont altérées par les écrans. L’école peut être un lieu de prévention pour développer le jugement critique des élèves et les rendre autonomes. Pour Gilles Vernet, les réseaux sociaux sont une "boîte de Pandore" face à laquelle il faut être radical. "On devrait interdire à ses enfants d’y aller. C’est dur à assumer mais c’est la meilleure chose à faire." L’instituteur nuance : "Le bon usage du numérique peut être fructueux tant qu’on ne tombe pas dans une orgie d’écrans."

 

Contre les écrans, la nature et la lecture sont des armes redoutables. L’une comme l’autre permettent de se déconnecter, de se concentrer sur autre chose. "Le livre doit être défendu par tous les moyens." En lisant, le lecteur est actif : il cherche des définitions, tourne les pages… Et ce qu’on lit nous pénètre plus profondément que ce qui défile sur nos smartphones. Aux parents maintenant de prendre les mesures pour prévenir à la maison. L’OMS préconise de n’avoir accès à aucun écran avant l’âge de cinq ans. Au quotidien, cela peut passer par l’interdiction d’avoir des écrans dans les chambres ou à table. "Les parents sont prêts à l’entendre, et les députés doivent renouveler le discours de prévention", conclut Florent Souillot.

 

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