Deux chercheurs, l'une historienne et l'autre sociologue, expriment leur inquiétude dans un essai, "Face à la menace fasciste" (éd. Textuel). Selon eux, les politiques néo-libérales ont, en affaiblissant le service public, ont fait monter l'inquiétude des Français. Ajoutées à cela une montée de l'autoritarisme et la progression de l'extrême droite, plus une banalisation de la violence dans les médias, dont Éric Zemmour serait l'exemple.
Qu’est-ce que le fascisme ? Si le terme renvoie à la période mussolinienne en Italie, peut-on l’appliquer à d’autres époques et d’autres pays ? Pour les auteurs de "Face à la menace fasciste - Sortir de l'autoritarisme" (éd. Textuel), "le fascisme n’a pas besoin de chemises brunes" et peut s'exprimer sous différentes formes. Ludivine Bantigny explique que la notion renvoie à "un programme politique de supposée régénération ou purification, qui impose aussi des formes de destruction, de liquidation, autour d’un projet national, racial, d’une sorte d’homogénéité fantasmée, où l’enfermement, voire le crime de masse, sont autant de possibilités".
En 2018, Ugo Palheta parlait de "La Possibilité du fascisme" (éd. La Découverte) : aujourd’hui, il évoque une "menace". "C’est vrai que la situation nous parait tout particulièrement alarmante", abonde Ludivine Bantigny. Parmi les signaux inquiétants, les deux chercheurs listent : la répression du mouvement des "Gilets jaunes" ; la progression de l’extrême droite en France depuis l’élection d’Emmanuel Macron ; des policiers d’un commissariat à Rouen qui "tiennent des propos explicitement racistes" et disent qu’ils "stockent des armes pour mener une guerre raciale" ; le sort de près de 750 personnes tuées en une quarantaine d’années au cours d’intervention de police, des personnes "pour la plupart issues de quartiers populaires notamment issues de l’immigration" ; "le traitement inhumain réservé aux migrants", que l’on en vient à priver d’eau ou dont on empoisonne la nourriture avec du gaz lacrymogène, comme à Calais…
"La crise consiste justement dans le fait que l’ancien se meurt et que le nouveau ne peut pas naître. Pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés", écrivait Gramsci dans ses "Cahiers de prison", entre 1929 et 1935. Ce que décrit le philosophe italien c’est "la difficulté pour un pouvoir à continuer de s’exercer simplement par le consentement", selon Ludivine Bantigny. D’où un recours "à des méthodes autoritaires, et des méthodes aussi de répression".
Pour Ugo Palheta, en effet, les "principaux responsables" de cette "fascisation" de la société française - en dehors des mouvements d’extrême droite, et de "ses idéologues" - sont "les gouvernements qui se sont succédés depuis plusieurs décennies". Selon lui, "les politiques néolibérales", en "s'attaquant" aux services publics et à la protection sociale, ont "créé une crise sociale assez terrible dans la société française". Et diffusé, parmi les Français "un sentiment d’impossibilité de changer les choses" et de "sauver le modèle social hérité de l’après-guerre". Certains espéreraient sauver ce modèle "en se débarrassant de ceux qui en profiteraient"...
Assiste-t-on à une "banalisation de la parole raciste dans l’espace public", comme le dénonce Ugo Palheta ? Selon lui, on se permet de dire au sujet de l’islam et des musulmans ce que l’on n’oserait dire à propos d’autres minorités. Par exemple on ne dit plus que le judaïsme n’est pas compatible avec la République, discours que l’on a pu tenir il y a quelques décennies... Pour le sociologue, on assiste même à "des formes de déshumanisation des musulmans". Or, "quand on déshumanise on se permet en général dans la seconde phase ensuite des choses qui nous ramènent au pire de l’histoire du XXe siècle..."
La parole s’est donc décomplexée dans les médias, selon les deux observateurs. Et un nom revient en particulier dans la bouche d'Ugo Palheta et Ludivine Bantigny, celui du polémiste Éric Zemmour. "C’est assez inimaginable, dans beaucoup de sociétés européennes qu’un idéologue condamné deux fois pour incitation à la haine raciale, puisse s’exprimer tous les jours à une heure de grande écoute sur une grande chaîne d’information continue", s’indigne Ugo Palheta. Le 13 septembre dernier, sa chronique dans l’émission "Face à l’info", sur Cnews, a cependant été suspendue. Mais le sociologue pointe du doigt "l’empire Bolloré qui joue clairement la carte de l’extrême droite sous sa forme la plus violente, la plus brutale, notamment à travers Éric Zemmour"...
Le polémiste vient d’annoncer sa candidature à la présidence de la République. Or, pour Ludivine Bantigny, "avec le cas d’Éric Zemmour, mais qui n’est pas le seul hélas, on fabrique véritablement un monstre médiatique, au sens d’une fabrication d’une personnalité qui joue sur ce racisme structurel qui est très clairement fascisant parce que quand il parle de remigration, avec d’autres, il s’agit très clairement de déportation, de nettoyage ethnique".
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