Alexis Grüss était un passionné de cirque, de chevaux et de Dieu. Mort à 79 ans, le 6 avril 2024, le chef de bande du cirque Grüss était né dans la caravane de ses grand-parents sous l'Occupation avant de conquérir le monde du spectacle. Thierry Lyonnet a eu la chance d'interviewé cet artiste incontournable en janvier 2023. Un échange authentique et intime à redécouvrir.
Dans le "Dictionnaire de ma vie" (éd. Calmann-Lévy), Alexis Grüss revient lettre par lettre sur ce qui l’a façonné. De clown à écuyer, de dresseur d’éléphant à musicien, il a dû composer et s’adapter à chaque discipline. Il tire de sa vie des enseignements philosophiques : le sens de l’effort, l’aplomb, le don de soi… Cette famille de circassiens naît d'un coup de foudre. En 1869, Maria Martinetti rencontre Charles Grüss. Elle est écuyère italienne itinérante, il est tailleur de pierre. Leur union est à l'origine de ce qui est devenu une dynastie : les Grüss.
Alexis Grüss fait partie de la quatrième génération de la famille. Né dans une caravane, il ne renoncera jamais à ce mode de vie itinérant. "Je n’ai jamais perdu une minute de ma vie dans les transports en commun", raconte-t-il avec le sourire. Mais "pierre qui roule n’amasse pas mousse". En 1974, la famille décide de se sédentariser. Ils sont depuis installés à Paris, estimant que pour transmettre, la meilleure chose à faire est de s'ancrer.
"J'étais un bébé. Je pleurais, et mon père m’a pris avec lui sur un cheval : mes pleurs ont immédiatement cessé." De son premier contact avec un cheval, il retient l’odeur, la température, le "toucher incroyable". Pour lui, le cheval, c'est "la vérité, l’authenticité". Dans une telle famille, la transmission occupe une place fondamentale. L'initiation se fait dès la naissance. "C'est un chemin de croix : tout se fait progressivement. C'est la difficulté et l’effort qui nous enseigne tout", estime Alexis Grüss, qui voit l'effort comme une école de la vie. C'est par un travail acharné qu'ils déguisent l'effort pendant le spectacle.
Comment parler de dictionnaire sans parler de mots ? Pour Alexis Grüss, les mots ont une valeur fondamentale. Ainsi, il préfère parler d'éducation que de dressage. "L’éducation est la première chose inventée par l’homme contre la nature." Pour éduquer ses 60 chevaux, il a 60 méthodes différentes. Chacun est approché de manière unique et adaptée. "Comme mes enfants", ajoute l'écuyer. À ceux qui lui reprochent de faire travailler des équidés, il répond que le cheval est la première espèce sauvée par l’homme. "C’était l'espèce la plus vulnérable." Et à ses enfants et petits-enfants, il transmet ce dicton qu'il aime bien : "élevez votre intelligence sur la ruine des préjugés".
Paradoxalement, le mot "cirque", Alexis Grüss ne l'aime plus. "Le terme est devenu péjoratif, et il n’y a pas de fumée sans feu." Il déplore ce qu'est devenu la discipline : "le mot refleurit mais il évoque du théâtre acrobatique". Pour lui, ce que font les Grüss n'a rien de tel. Il y a quelques années pourtant, avec la comédienne Silvia Monfort, ils se sont battus ardemment pour faire entrer le cirque dans la culture. Aujourd’hui, il estime que le cirque est associé à un mauvais traitement des animaux.
Grâce au vocabulaire, dans sa famille, les "pièces rapportées" deviennent des "valeurs ajoutées". Chez les Grüss, la famille est avant tout un état d’esprit. Pour Alexis Grüss, il s’agit d’éducation, de partage. Comme beaucoup de familles, les Grüss partagent leurs efforts, leurs peines, leurs joies. Ce qu’ils ont de plus, c’est le partage des applaudissements à la fin du spectacle. Si l'on associe souvent au monde du cirque l'image d'une grande caravane qui se déplace ensemble, Alexis Grüss dément : "C'est chacun chez soi, mais tous ensemble." L’intimité est conservée dans le respect des différences de chacun. Du haut de ses 78 ans, l'intervenant est pleinement heureux. Il cite Victor Hugo : "Mon rêve, c'est le présent", et se réjouit d’avoir tout son monde à portée, famille comme animaux.
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