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Au Moyen-Age, on savait parler au peuple
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Au Moyen-Age, on savait parler au peuple

Un article rédigé par JD - RCF, le 29 septembre 2023  -  Modifié le 30 septembre 2023
Les Racines du présent Au Moyen Âge, on savait parler au peuple

Aujourd'hui, on entend parfois dire que les politiques ne savent pas s'adresser aux Français, que leur parole n'est pas accessible. Au Moyen-Age, les choses sont différentes, notamment dans la parole portée par l'Église. C'est en tout cas ce qu'avance l'historien médiéviste et académicien Michel Zink dans son livre "Parler aux "simples gens", un art médiéval" (éd. du Cerf).

Le tympan de la cathédrale Notre-Dame de Chartres est aussi un moyen de transmission aux personnes les plus simples. © Patrick dC sur Wikicomment Le tympan de la cathédrale Notre-Dame de Chartres est aussi un moyen de transmission aux personnes les plus simples. © Patrick dC sur Wikicomment


Élu depuis 2017 à l’Académie française, Michel Zink est un fin connaisseur du Moyen-Age. Ses études de la littérature médiévale lui ont permis de comprendre comment, il y a quelques siècles, on parlait aux "simples". De quoi questionner le fossé actuel entre les peuples et les élites, alors que des populismes apparaissent de toutes parts.


Parler aux "simples gens", un art médiéval ?

 

"Au Moyen-Age, le peuple est constitué des classes les plus simples de la société, de ceux qui travaillent et qui nourrissent les autres". Si l’on distingue les cerfs - asservis - des paysans libres - qui doivent payer des impôts -, "les pauvres mouraient tous globalement entre 30 et 40 ans". Michel Zink souligne leur régime alimentaire sain car, contrairement  aux nobles, les paysans n’abusent pas de l’alcool et des plats fastueux. L’académicien s’est intéressé "au peuple de Dieu". L'Église occupant une place prégnante dans la société médiévale, le christianisme "impose une façon de parler au peuple" pendant ce "bon millénaire" que dure le Moyen-Age, dont la période entre le XIe siècle et la peste noire de 1348 se distingue pour son développement économique important.


"L’Église du Moyen-Age est un ascenseur social", affirme l’intervenant. Elle permet à des enfants issus de milieux très simples d’apprendre la lecture, l’écriture et le latin dans les écoles presbytérales. Le latin parlé dans les campagnes comme dans les villes "se déformait sans cesse parce qu’il était parlé par des populations locales, avec des accents et transmis par des gens de passage". De transformations en transformations, "un moment est venu où le peuple ne comprenait plus le latin officiel". Or, c’est ce latin même qui était parlé dans les prêches et dans les églises. Pour être compris par le peuple, les hommes d'Église se mettent à "parler la langue rustique".

L’Église, vecteur et moteur des évolutions de la langue

 

Au début du IXe siècle, le christianisme semble être stabilisé. Lors de son règne, Charlemagne "contribue à fixer la liturgie". En 813, au concile de Tours, on décide qu’il faut prêcher en langue rustique, dans un souci d’être audible. Pour le spécialiste, "ça ne tient pas à une forme du christianisme, ça tient au christianisme en lui-même. Ce qu’il y a d’admirable dans cette démarche de l’Église, c’est qu’elle montre qu’elle prend les fidèles au sérieux". Les écrits politiques et littéraires "passent eux aussi rapidement en langues rustiques", précise Michel Zink.

 

Si la religion romaine, présente auparavant dans ces régions, était une "religion civique" avec des sacrifices, des règles et des rites, la religion chrétienne "n’est pas que rituelle : elle est aussi personnelle". Cet aspect de la foi chrétienne demande une réelle compréhension de la part des fidèles, à commencer par l’acte du baptême. La transmission passe aussi par l’iconographie, les tympans des cathédrales, les vitraux ou les fresques.


D’hier à aujourd’hui, l'Église parle-t-elle encore au "peuple" ?


"Heureux les pauvres d’esprit, les petits entreront les premiers dans le royaume des cieux", dit la Bible. Dans la société très hiérarchisée du Moyen-Age, face aux "simples gens en bas de l’échelle sociale", les plus aisés veulent eux aussi avoir accès au salut. Pour Michel Zink, c’est grâce à ce sentiment de culpabilité que "l’aumône est courante, la mendicité admise. On traite relativement bien les fous ou les marginaux". Parallèlement, face à l’aisance financière et matérielle de certaines abbayes, des moines optent pour un mode de vie plus pauvre, pour un retour aux sources et à la pauvreté évangélique avec, pour mot d’ordre, "suivre nu le Christ nu".


"L'évangélisation aurait accéléré la naissance des langues européennes". C’est la théorie défendue par Michel Zink. Certes, le latin était encore une langue vivante, mais "pour convertir le peuple, il fallait parler au peuple". Les clercs, qui vivaient dans le registre de l’écrit, ont dû faire un effort pour prêcher en langue rustique, mais aussi pour l’écrire.

 

"Notre démocratie serait un héritage du Moyen-Age chrétien et évangélique", avance Michel Zink. Pour lui, l’idée qu’il y a une forme d’égalité sous le regard de Dieu s’est transmise au monde politique. Conscient que "le peuple de Dieu n’appartient pas aux classes les plus simples, que la noblesse française est essentiellement catholique familialement" et que les ordinations au Moyen-Age concernent "majoritairement le bottin mondain", Michel Zink invite à questionner la situation actuelle de l’Église et à se poser la question qu'y occupe les personnes les plus simples.

 

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©RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Les Racines du présent

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