À l’approche de Pâques, faisons un détour à distance des préoccupations du monde pour nous arrêter sur un verset d’évangile légèrement incongru, mais qui porte beaucoup de sens.
Je sais ! Je sais… Il y a la perspective d’une légalisation de l’euthanasie, il y a les tensions explosives dans la société française, il y a les dangers de l’intelligence artificielle, et le budget des armées, et l’inculpation de Donald Trump, et toujours la guerre en Ukraine… Mais, pardon, ce matin, j’ai envie de parler d’autre chose. De quoi ? Mais de rien ! Enfin… disons, presque rien. Puisque nous entrons dans le Triduum pascal, j’aimerais embrasser la douce dissonance spirituelle de ces quelques jours. Car ce passage de la mort à la vie que nous vivons avec le Christ, c’est, à sa façon, un autre printemps. Et quoi de mieux, au printemps, que de se retirer dans un jardin ?
En fait, je voudrais attirer votre attention sur une toute petite phrase de l’Évangile, que nous entendrons demain, vendredi. Un simple détail, a priori anecdotique, juste après la mort de Jésus sur la croix (chez saint Jean, au chapitre 19, verset 41) : "Or, il y avait un jardin à l’endroit où Jésus avait été crucifié…" Cette minuscule notation de contexte, pour expliquer que la mise au tombeau aura lieu rapidement, elle provoque depuis longtemps en moi comme un vertige d’émerveillement. C’est totalement discordant : vu le drame qui vient de se jouer, on imaginerait plutôt au lieu du calvaire une terre caillouteuse et gorgée de sang. Mais non : "Or, il y avait un jardin"… C’est incongru, c’est quasiment une note de bas de page. Et c’est magnifique.
Pourquoi ? Parce que soudain, l’évangéliste précipite une brèche dans l’Écriture, une sorte de raccourci : le temps se replie, l’Éden originel et le jardin de la Résurrection se rejoignent. D’ailleurs, les théologiens ont bien noté la résonance entre la Croix et l’arbre de vie. Dans ce petit lopin de terre, c’est une semence d’éternité qui est plantée. Mais ce renversement, il est suggéré ici avec une infinie délicatesse. " Or, il y avait un jardin à l’endroit où Jésus avait été crucifié…"
Mais finalement, qu’est-ce qu’un jardin, sinon un endroit où l’on aspire inlassablement à revenir ? Le troisième jour après la Passion, c’est Marie Madeleine qui y revient… et elle va même prendre Dieu lui-même pour un jardinier. Là encore : trésor de sens ! Pensez aussi à toutes les femmes et tous les hommes - moi le premier, ce matin - qui portent en eux et chantent un coin de verdure, le pied d’un arbre, un bosquet d’enfance ou une belle charmille où s’abritent des souvenirs inaltérables. Il y a les rêves de cabanes, les siestes sur l’herbe, les promenades amicales sous une frondaison… la recherche d’un paradis perdu, d’une beauté ancienne et toujours nouvelle. Parlez-moi des jardins qui sommeillent en vous et, malgré nos divergences, nous aurons toujours un lieu où nous accorder.
Je vous le demande : est-ce qu’il existe un détail évangélique plus nécessaire pour traverser les
marécages de l’actualité ou les épreuves personnelles ? Ce rappel infime nous ramène à l’essentiel :
ce jardin si proche du lieu de la Passion, c’est celui où Dieu nous donne rendez-vous. Tant qu’il y
aura la mémoire d’un jardin, il y aura toujours dans ce monde une espérance. Pensez-y en écoutant cet évangile, méditez cette image dans le silence du samedi saint, revenez-y quand les heures seront pesantes, quand on reparlera des crises que notre monde traverse, quand l’horizon semblera bouché. Quelque part, tout proche, un chant d’oiseau peut nous surprendre, un matin de Pâques nous attend. "Or, il y avait un jardin à l’endroit où Jésus avait été crucifié…"
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