Nayib Bukele est devenu président du Salvador en 2019, à trente-sept ans. Et il joue volontiers de cette jeunesse dans sa communication politique. Pour montrer à quel point il est cool, ce barbu au sourire avantageux porte volontiers sa casquette à l’envers. Et pour confirmer qu’il est moderne, il a fait du Salvador le premier pays du monde à adopter le bitcoin, une crypto-monnaie, comme monnaie légale au même titre que le dollar des États-Unis. Mais être fringant et branché n’empêche pas d’avoir la "mano dura", comme on dit en Amérique latine. C’est-à-dire la main ferme, dure, parfois violente.
Dans le cas de Nayib Bukele, c’est sa poigne face aux gangs qui lui vaut aujourd’hui une impressionnante popularité dans l’opinion salvadorienne. Depuis des années, les différentes maras, le nom générique des gangs, terrorisent des quartiers, des villages, des villes du Salvador. Mais en quatre ans de présidence Bukele, le taux d’homicides dans le pays s’est officiellement effondré de près de 85%.
Et début février, le président salvadorien a inauguré un méga-pénitencier destinée à accueillir à terme pas moins de 40.000 prisonniers. Les quatre mille premiers détenus ont été amenés ces dernières semaines en deux vagues au Centre de confinement du terrorisme (Cecot), selon son appellation officielle. Et les photos impressionnantes de ces hommes agenouillés en longues rangées et l’échine courbée devant les gardiens ont été communiquées à la presse nationale et internationale par la présidence salvadorienne.
Il faut dire que le pays ne manque pas de potentiels détenus pour alimenter cette nouvelle prison. En un an, 64 000 hommes ont été arrêtés par les forces de l’ordre pour appartenance aux maras. Ou du moins, appartenance présumée car avant de se livrer à ces rafles massives, le gouvernement de Nayib Bukele a fait adopter par le Parlement, que son parti politique domine, un régime d’exception pour faciliter les arrestations sans mandat judiciaire et suspendre les droits de la défense au nom de la guerre contre la délinquance organisée. Résultat : certains hommes ont été interpellées à cause d’un simple tatouage, marque de reconnaissance des maras. Ou parce qu’ils ont été dénoncés. Ou parce qu’un de leurs proches est membre d’un gang…
Si Nayib Bukele brandit la baisse impressionnante du nombre d’homicides depuis son arrivée au pouvoir pour justifier sa politique de mano dura, des journalistes d’investigation de son pays, mais aussi le procureur d’un tribunal de New York avancent une autre explication : selon eux, entre 2019 et 2022, des responsables du gouvernement salvadorien auraient secrètement négocié à plusieurs reprises avec des maras une réduction des homicides en échange de la non-extradition vers les États-Unis de plusieurs chefs de gangs emprisonnés au Salvador.
Jusqu’à présent, ces affirmations n’ont pas entamé la cote de popularité de Nayib Bukele auprès de ses concitoyens. Cela tombe bien pour lui puisqu’il envisage de se représenter à la présidence du pays en février 2024. Et d’ici là, les innocents emprisonnés dans le méga-pénitencier avec de véritables criminels n’auront sans doute pas eu le loisir de sortir pour dire ce qu’ils pensent de la mano dura.
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