Les fleuves sont au cœur de nos territoires, de nos façons de nous déplacer ou d’appréhender une ville. Pour Erik Orsenna, leur rôle va bien au-delà. Dans son récent livre "La terre a soif" (éd. Fayard), l’académicien explique l’importance éminente de ces acteurs clés et ce que les cours d’eau reflètent de nos sociétés.
Les fleuves, l’eau, la mer et les marées n'ont plus de secrets pour Erik Orsenna. Obsédé par l’eau depuis son enfance, de Paris à Bréhat, l’auteur dédie un nouvel ouvrage à ce sujet au cœur de nos préoccupations contemporaines. "La terre a soif" est une consécration de l’eau. Erik Orsenna voit en elle une allégorie de la vie et de l’écriture. Comme elles, l'eau "va et vient, est en mouvement, en vie, reflète la peur et l’aventure".
"Très vite, pour moi, écrire ça a été naviguer." L’écriture et la navigation ont enseigné à Erik Orsenna l’humilité, la détermination, la fragilité du temps qui passe, la fluidité. La terre a soif est l’aboutissement d’un long travail d’enquête journalistique à travers le monde. "Ce livre est au fond le livre de ma vie, un condensé de notes prises sur 30 ans." Et d'ajouter : "c'est, en somme, une eau-tobiographie".
Sans l’appui et l’aide d’un réseau énorme de scientifiques, le travail d’Orsenna n’aurait pas été le même. "On est tous dans le même bateau du savoir", illustre l’auteur. La terre a soif est l’aboutissement d’un travail commun. Poussé par son insatiable curiosité d’écrivain reporter, Erik Orsenna s’intéresse à une trentaine de fleuves, appuyé par l’association Initiatives pour l’avenir des grands fleuves. "Je suis du genre à croire que le savoir accroît le plaisir", ajoute-t-il. Émerveillé par la planète, l’académicien veut la défendre en croisant les regards et en expliquant dans une démarche de vulgarisation. L’épouse d’Erik Orsenna est médecin, et le couple aime comparer la multitude de fleuves aux nombreux réseaux sanguins du corps humain.
De tous les fleuves qui parcourent la planète, c’est le Niger qui a la préférence d’Erik Orsenna. Les raisons sont multiples : "parce que je ne peux plus y aller et que c’est un des endroits où j’ai été le plus heureux, grâce à la musique de l’eau". Dans le livre, l’auteur explique que sept plaies survolent ce fleuve "comme des vautours" : le soleil, le sable, mais aussi le djihadisme. Les fleuves sont au cœur des questions écologiques et géopolitiques.
Et c'est pourquoi les fleuves sont de plus en plus proie à des barrages. A travers le monde, on en compte 45 000, plus ou moins importants. Certains ont une fonction de protection des populations, luttant contre les crues. Mais d'autres sont source de nombreuses tensions. La construction du barrage de la Renaissance en Éthiopie met du feu aux poudres dans les relations avec l’Égypte. "Sans Nil, plus d’Égypte" explique Erik Orsenna, avant d’ajouter que l’édification de ce barrage s’apparente à une déclaration de guerre pour l'Égypte.
L’écrivain souligne la mainmise des pays en amont, qui détiennent le pouvoir sur ceux en aval. Les neuf fleuves qui descendent du Tibet sont un "château d’eau pour l’Asie" et irriguent la moitié de la population mondiale. Sans Tibet pas de Chine, donc. La Chine est fragilisée par cette dépendance, d’autant que 60% de l’eau est au Sud du pays quand les grandes villes sont situées au Nord.
L’eau, sous toutes ses formes, est très inégalement répartie sur la terre, dans l’espace et dans le temps. Le livre met en exergue le rôle des fleuves à l’heure du dérèglement climatique. L’eau et sa gestion sont le miroir de nos sociétés, des relations humaines et de l’injustice climatique, soulevée lors de la COP27 à Sharm el-Sheikh. C'est, il semble, en trouvant la bonne échelle de gestion que des solutions pourront être trouvées. L’hydro-diplomatie doit devenir un enjeu majeur pour éviter que "la folie humaine" dicte les choix relatifs aux réseaux fluviaux.
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