De Bayonne à Santiago, l’académicien, diplomate et médecin Jean-Christophe Rufin a décidé de troquer pour un mois son costume cravate contre un poncho et son sac à dos. Le projet ? Traverser la France sur le chemin de Compostelle. Une expérience de dépouillement total dont il est sorti transformé, comme il l’explique dans son ouvrage “Immortelle randonnée” publié aux éditions Paulsen. Dans ce premier épisode de "Marche & Rêve", il nous raconte, au micro de Thierry Lyonnet, pourquoi la marche ne sert à rien et comment elle remplit l’âme.
Un épisode à écouter sur rcf.fr et sur toutes les plateformes de podcasts. Dans le prochain épisode retrouvez le témoignage de Claire Colette qui grâce à la marche a guéri de la fibromyalgie.
Après une mission difficile d’ambassadeur au Sénégal, Jean-Christophe Rufin rentre en France. Fini les cuisiniers, les gardiens et les avantages de l’expatriation, il reprend une vie normale en rentrant en France. Une vie faite de davantage de “privations”. Pour approfondir cette sobriété retrouvée, celui qu’on appelait "excellence", décide de partir sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle. C’est l’héritage historique et spirituel du "camino" qui a attiré l’académicien. “J’ai voulu convertir cette privation en bonheur c’est à dire la pousser à l'extrême et il n’y a rien de tel à mes yeux qu’une grande longue marche pour vous conduire à une forme de dépouillement et vous ramener à l’essentiel”.
C’est l’héritage historique et spirituel du "camino", chemin en espagnol, qui a attiré l’académicien.
Dans son livre “Immortelle randonnée”, Jean-Christophe Rufin définit la marche comme étant une “purge intellectuelle”, or pour la plupart des gens la marche est favorable à la réflexion. Pour l’écrivain, ça peut être le cas sur de courtes distances. Pour ce qui est de la marche longue et répétée “elle produit l’effet totalement contraire c’est à dire qu’elle élimine toute la pensée construite, celle qu’on veut poursuivre [...] la marche élimine ça parce qu’elle qu’elle vide en quelque sorte le cerveau.” Un effet cathartique qui permet de se libérer de nos pensées parasites. Pour autant, notre cerveau ne se “vide” pas de toute réflexion lorsque nous cheminons, mais il à l’affût de sensations nouvelles, plus concrètes.
Quand on marche, “il ne se passe pas rien” selon l’écrivain. “Mais la réflexion est différente parce que d’abord elle est beaucoup plus nourrie des perceptions qu’on a autour de soi. C’est à dire qu’il y a une sorte de porosité, de perméabilité à l’environnement qui fait que c’est cet environnement, c’est le fait qu’on soit dans une plaine ou dans une montagne, qu’on soit en train de monter ou de descendre, qu’on soit dans le froid ou dans le chaud, sous la pluie ou au soleil, c’est ça qui va finalement imprégner l’esprit et faire naître une rêverie qui est singulière.”
C’est ce contact très direct avec l’environnement qui fait la magie de la marche pour l'académicien, cette immersion avec les éléments. Contrairement à notre quotidien où les espaces sont toujours délimités que ce soit dans la voiture, le métro, notre maison ou nos bureaux. Tout comme les cases sociales qui nous délimitent. La marche fut donc une liberté retrouvée pour Jean-Christophe Rufin qui de part son métier de diplomate était en “représentation” permanente.
“Au fil des jours qui passent ces barrières là tombent et il y a une sorte de vulnérabilité, mais dans le sens positif, dans le sens où ce qui se déroule autour de vous peut entrer en vous et de la même façon, vous-même vous pouvez entrer en communication voir en communion avec les gens que vous rencontrez de manière beaucoup plus simple” explique l’académicien.
Efficacité, investissement, projection : nos actions doivent être utiles. Construire sa vie c’est atteindre des objectifs, professionnels, sociaux, amoureux, c’est devenir meilleur aussi. Dans la marche, rien de tout cela. Jean-Christophe Rufin est clair : faire le chemin de Compostelle ne sert à rien et c’est là tout son intérêt. "Ça ne sert à rien mais tant mieux car dans le restant de notre existence nous ne faisons que des choses qui sont théoriquement utiles. Et cette utilité mise bout à bout, aboutit souvent à une impression d’absence de sens. La plupart d’entre nous, on enchaîne des choses utiles tout au long d’une journée et ça ne retire pas l’impression qu’on peut avoir de temps en temps qu’on ne sait pas où on va, on ne sait pas pourquoi on fait tout cela.”
Marcher durant plusieurs mois sur le chemin de Compostelle “c’est exactement le contraire” pour Jean-Christophe Rufin. “Il n’y a pas d’utilité, ça c’est certain. Personne ne vous demande de faire cela, vous n’êtes pas obligés, vous vous arrêtez quand vous voulez. Et pourtant, il vous emplit de l’impression d’être dans l’essentiel. C’est l’antithèse de la vie courante.”
Le rapport au temps est modifié lorsqu’on marche. Dans son ouvrage Jean-Christophe Rufin dit que “le chemin est une alchimie du temps sur l’âme”. En premier lieu “le corps façonne votre corps” selon Jean-Christophe Rufin. Il prend le temps de s’habituer au rythme de marche soutenu et aux souffrances associées. Vient ensuite le temps ou le chemin “s’attaque à l’âme, à votre esprit” constate l’académicien. “La première action du temps c’est de faire disparaître ces soucis du corps. Et quand on a ce silence du corps, il y a d’autres choses qui viennent et qui probablement travaillent sur l’esprit et travaillent sur l’âme au sens où je pense que c’est au bout d’un certain temps une manière d’atteindre une forme de spiritualité” raconte Jean-Christophe Rufin.
Croyant ou pas, la marche se transforme souvent en chemin spirituel car notre esprit se dépouille au fur et à mesure de tous les parasites pour nous guider vers une paix intérieure. “Il y a cette espèce de liberté et de temps qui vous est donné d’écouter votre propre conscience” conclut Jean-Christophe Rufin. De cette marche effectuée en 2013, Jean-Christophe Rufin retient un changement qui lui a permis de toucher à une liberté intérieure nouvelle qui fut par la suite une belle source d’inspiration et de créativité.
C’est plutôt le marcheur qui représente la nature en quelque sorte par son dépouillement et qui traverse la civilisation en étant un peu comme l’animal sauvage qui traverse une autoroute.
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