Paris
À 30 ans, Lou Karoui a construit, avec 25 camarades des ateliers Desmonts, la charpente en chêne massif de la nef de Notre-Dame, en respectant des savoir-faire du XIIème siècle. C'est aussi elle qui a eu la lourde tâche de parcourir les forêts françaises pour choisir les 1200 arbres qui ont servi à l'ouvrage. Le chantier d'une vie que Lou aime appeler "les quatre saisons de Notre-Dame". Portrait.
Lorsque j’appelle Lou Karoui, charpentière au sein des ateliers Desmonts, nous sommes au début du mois de novembre 2024, les températures commencent à tomber, tout comme les feuilles des arbres, qu’elle chérie tant. Cela fait une semaine qu’on se rate. Il faut dire qu’elle n’est pas “très téléphone”. Ce qu’elle aime, c’est le vivant. Celui qui s’enracine. Qui pousse. Qui tombe. Qui se laisse travailler. Lou Karoui aime le bois.
Il est 10 heures ce samedi lorsque nous discutons. Lou sort du bateau sur lequel elle habite avec son compagnon sur le joli port d’Honfleur. Dans une demi-heure, elle travaille. Ce n’est pas un problème pour elle. Il paraît que lorsqu’on aime, on ne compte pas. Cela fait cinq ans qu’elle ne compte plus ses heures pour façonner la charpente de la “vieille dame” : Notre-Dame de Paris. Revenons avec elle, sur ce chantier hors du commun qui prendra fin officiellement le 7 et 8 décembre avec la réouverture officielle de la cathédrale parisienne.
Après avoir mis ses mains dans la terre pendant ses études d’ingénieur agronome, Lou a finalement décidé de dompter le bois. “La matière végétale, ça me parle, le vivant quoi”. Ce qu’elle aime particulièrement dans le métier de charpentier, c'est le côté brut, corporel, palpable. “C’est un travail concret où tu es capable de voir ce que tu as fait”.
Avec ses 10 camarades des ateliers Desmonts, entreprise normande de charpente à l’ancienne, Lou a été rejointe en 2022 par une quinzaine d’autres charpentiers pour assurer le chantier de sa vie : rebâtir la charpente de la nef de Notre-Dame de Paris.
Le mot nef vient du latin navis qui veut dire navire. Pour certain, ce nom viendrait d’une métaphore. Le bateau ou nef, représenterait l’Église universelle recevant l'enseignement de Jésus, comme dans de nombreux passages de la Bible.
Dans une église, la nef est la partie où se trouve l’assemblée lors des célébrations. Elle est réservée aux laïcs, c’est à dire à ceux qui ne sont pas religieux. Les clercs, eux, officient dans le chœur, là où se trouve le maître-autel, table centrale où le prêtre célèbre l’eucharistie lors des messes. Ce sont les ateliers Perrault qui se sont occupés de la charpente du choeur.
Lou et le reste de l’équipe avait pour objectif de reconstruire à l’identique cette charpente millénaire, et cela, en quelques mois seulement. “On a fait venir pleins de copains” raconte-t-elle pour décrire ses collègues de travail. En effet, une quinzaine de “copains” a débarqué dans les ateliers du petit village normand de Nassandre-sur-Risle dans l’Eure pour donner coups de mains et de haches.
La plupart d’entre eux viennent de l’association Charpentiers sans frontières, avec qui les ateliers Desmonts sont très proches. Une association qui réunit des professionnels de la charpente du monde entier et qui souhaite faire perdurer des savoir-faire traditionnels fragilisés par l’industrialisation du métier. C’est notamment grâce à l’expertise de Charpentiers sans frontières qu’il a été possible de faire la charpente à l’identique de celle tombée dans l’incendie de 2019.
“Cette colonie de charpentiers à fait un travail exceptionnel pendant 9 mois” explique Lou Karoui. C’est pour elle ce qui restera le plus beau souvenir de cette aventure : “C'était un chantier très intense socialement et très joyeux. J'ai été marquée par la vie collective qui s’est construite autour d’un ouvrage comme celui de la charpente de Notre-Dame”. La charpente de la nef, pièce centrale de la cathédrale, mesurant 40mètres de long sur 15 mètres de large, a été posée le 8 mars 2024.
L’intégralité de la charpente médiévale était construite en chêne et la complexité de ce chantier a été de la reproduire à l’identique. “La charpente de Notre-Dame raconte une histoire, il fallait conserver cette histoire. De nombreuses cathédrales ont été restaurées, mais ça n’avait jamais été refait à l’identique” précise Lou Karoui. C’était un challenge pour les équipes de devoir “faire pareil” avec les normes d’aujourd’hui et dans un temps restreint.
Cette histoire millénaire, Lou a pu en être la témoin. “On voit, au fur et à mesure de la construction de la nef, l’évolution de la charpente”. En effet, les savoir-faire ont évolué entre les débuts de la construction de Notre-Dame au XIIème siècle et les plans de Viollet-Le-Duc au XIXème siècle. Le challenge de reconstruire tout en bois avec des techniques médiévales a tout de suite séduit l’équipe des Ateliers Desmonts qui a répondu à l’appel d’offre “pour faire les parties médiévales à la hache et la taille manuelle du bois vert” raconte Lou.
Lou a assuré différentes missions tout au long du chantier. La première était de choisir les 1200 chênes français nécessaires à la construction de la charpente. Elle a coordonné l’approvisionnement en bois pour les charpentes de la nef et du choeur en respectant scrupuleusement différents critères : le diamètre du tronc, la hauteur de l'arbre et sa rectitude. Accompagnée d’un forestier de l’Office Nationale des Forêts (ONF), elle a parcouru la France pour chercher les arbres les plus grands, les plus droits et aux diamètres les plus fins afin de pouvoir les tailler à la hache. Tout cela a été fait en veillant à ne pas endommager la parcelle et la qualité du peuplement entourant le chêne désigné. La totalité des arbres a été prélevée dans la moitié nord de la France. Dans le respect des critères sylvicoles, Lou et les forestiers ont pris soin de ne pas sélectionner plus de trois arbres par hectare parcouru.
Finalement, 80% de ces arbres ont été prélevés dans des forêts domaniales grâce à l’aide de l’ONF et 20% d’entre eux chez des particuliers dans des forêts privées. L’approvisionnement a été fait en grande partie dans la forêt domaniale de Bellême, dans le parc naturel régional du Perche, réputée pour ses sublimes futaies de chênes, ainsi que dans la forêt de Tronçais, dans l’Allier. Le volume de bois était tellement important que les ateliers Desmonts ont dû agrandir leurs espaces de stockage et de travail pour pouvoir accueillir les centaines de grumes, nom donné aux troncs d’arbres coupés.
Les artisans capables d’équarrir des grumes en respectant les techniques médiévales sont très peu nombreux, c’est pourquoi les ateliers Desmonts ont été choisis pour la reconstruction de la charpente. “Rendre carré ce qui est rond” c’est l’objectif de l’équarrissage, explique Lou Kaoui, pour pouvoir ensuite rassembler les poutres et en faire une charpente.
La spécificité pour Notre-Dame de Paris était de faire l’équarrissage du bois à la main avec une hache spécifique : la doloire. Doler veut dire rendre lisse. Pour le chantier, cinq taillandiers des quatre coins de la France ont dû forger 60 haches ressemblant au maximum à celles utilisées au Moyen Âge “afin de trouver les mêmes aspects de surface qu'à l’époque” explique Lou Karoui . “Le fait d’utiliser des savoir-faire à l’ancienne, ça permet d’utiliser du bois vert et donc d’enlever un minimum de matière. Tu respectes la fibre du bois, tu libères des tensions et tu sais que le bois ne va pas travailler” précise-t-elle. Tout est en bois dans cette nouvelle charpente au style médiévale, même les 4500 chevilles utilisées pour relier chacune des 2000 pièces de bois.
Lorsque je demande à Lou Karoui comment elle a vécu ce chantier, elle revient à la nature, au vivant. “J’aime appeler cette partie de ma vie les quatre saisons de Notre-Dame”. Il y a eu d’abord l’automne avec le choix des arbres puis l’hiver avec l’équarrissage à la hache. Ensuite est venu le printemps avec la taille des poutres pour enfin terminer ces quatre saisons au cœur de l’été avec le levage des fermes de la charpente. Et enfin pouvoir observer l'ouvrage terminé avant de le déposer dans le ciel de Paris.
Un an pour redonner un corps à Notre-Dame, vieille de 861 ans. Lou Karoui n’avait probablement pas imaginé pouvoir mettre son savoir-faire au profit d’un ouvrage si grandiose. Une occasion en or pour elle et ses compagnons de fortune de montrer à la France et au monde que les savoir-faire artisanaux et ancestraux doivent être préservés et défendus. Car sans eux Notre-Dame ne serait qu’un tas de cendre. La trace que laisse Notre-Dame dans l’esprit de Lou Karoui c’est la puissance du collectif. “Nous étions pleins de personnes qui avions rêvé de faire ça ensemble. Construire la charpente de Notre-Dame, c’était réussir à faire plus grand que nous, tous ensemble” me dit-elle en sortant de sa voiture pour aller travailler.
Ce “rêve plus grand que nous” est maintenant au-dessus de la nef de Notre Dame. Lou espère que la charpente tiendra encore 800 ans. Quatre saisons pour l’éternité, le pari valait le coup de hache.
Lorsque nous raccrochons, Lou arrive sur son nouveau chantier : reconstruire la Mora, le bateau viking avec lequel Guillaume le Conquérant conquit l’Angleterre, en utilisant les méthodes du onzième siècle. Il est notamment représenté sur la tapisserie de Bayeux. Un nouveau projet d'ampleur pour cette charpentière passeuse d’Histoire qui touche du bois.
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