Liège
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les princes-évêques étaient souvent d’origine étrangère et ne séjournaient que très ponctuellement à Liège. Les inventaires de leurs différents châteaux fournissent bien des informations utiles sur leurs collections de tapisseries, en particulier celle de Joseph-Clément de Bavière, qui travailla avec la manufacture bruxelloise de Joseph Le Clerc et avec le successeur de celui-ci, Jean-Baptiste Vermillion. Ce dernier tenta d’obtenir du successeur de Joseph-Clément, Georges-Louis de Berghes, l’autorisation d’établir une manufacture de tapisseries en principauté de Liège. Les collections de tapisseries des princes-évêques postérieurs à Érard de La Marck ne sont guère connues que par d’anciens inventaires, mais une tenture ayant appartenu à Velbrück vient d’être identifiée par l’invitée du jour, Anne-Sophie Laruelle.
Les princes de Bavière résidaient plus volontiers dans d’autres palais et châteaux au sein de l’Empire germanique, en particulier dans l’actuelle Rhénanie du Nord-Westphalie : à Cologne, à Bonn ou à Arnsberg, par exemple. Pour Arnsberg, il existe encore des inventaires de l’époque de Maximilien-Henri qui mentionnent une multitude d’œuvres d’art et objets précieux, notamment de l’orfèvrerie et de l’argenterie. Les inventaires conservés ne nous laissent qu’entrevoir la magnificence des princes en matière de tapisseries, car les descriptions sont souvent sommaires.
Parmi tous les princes de Bavière, Joseph-Clément semble être celui qui a amassé le plus de tapisseries. Il possédait plusieurs centaines de pièces, comme le confirment divers inventaires, dont ceux réalisés après son décès, en 1723 au palais de Bonn. À la lumière de ces documents, deux tendances générales peuvent être observées : on note une forte présence de tapisseries illustrant des scènes figuratives (thèmes héroïques, antiques) dans les salles publiques, ou dans le cadre de cérémonies fastueuses, et, parallèlement, une demande accrue de pièces plus décoratives vouées à des espaces plus intimes.
Sous le règne de ce prince, l’aspect du palais épiscopal de Liège peut également être apprécié grâce à plusieurs répertoires. Dans un inventaire inédit du mobilier daté de 1702, on retrouve trente-six grandes tapisseries de lice, une quantité phénoménale d’autres tissus (riches étoffes et broderies), des tapisseries de cuir doré, du mobilier, des peintures...
Les achats personnels, souvent coûteux, de Joseph-Clément sont aussi consignés dans les archives liégeoises. On songe notamment à un paiement important à un certain Hieronymus Le Clerc de Bruxelles en 1696. Cette mention laconique peut paraître anodine, mais ce Jérôme Le Clerc possédait en fait le troisième atelier de tapisserie le plus prestigieux de Bruxelles. À la même époque, il travailla à une série appelée aujourd’hui l’Art de la Guerre, à destination de Maximilien-Emmanuel de Bavière, le frère de Joseph-Clément. Il n’est pas exclu que ce dernier ait lui-même acquis une autre édition de cette tenture.
Jérôme Le Clerc avait pris comme associé un autre licier de Bruxelles, son neveu Jean-Baptiste Vermillion. Vermillion prit sa succession et dirigea l’atelier. On trouve dans les archives plusieurs mentions de ses tentatives de création d’une manufacture de tapisseries dans la principauté de Liège. En 1737, Georges-Louis de Berghes lui a accordé un octroi en ce sens, mais on ne connaît pas l’issue de l’affaire.
Vermillion réapparaît en 1741 et il s’adresse aux États de Liège pour établir une manufacture à Huy. Il assure aux députés que ses tapisseries seront de qualité égale ou même supérieure à celle des tapisseries produites dans les ateliers de Bruxelles à cette époque, voire des Gobelins à Paris. Il insiste surtout sur le fait qu’elles seront moins chères qu’ailleurs... Le prince voyait probablement un avantage financier dans la création d’une telle manufacture : il aurait pu acquérir lui-même des tapisseries de grande qualité à moindre frais. Il semble toutefois que le projet n’ait jamais abouti.
Les seules tapisseries encore conservées au palais ne proviennent pas de la collection des princes-évêques, mais elles sont issues des États, qui siégeaient en ce lieu. La plus somptueuse de celles conservées, inspirée du Télémaque de Fénelon, a été commandée par l’État-Tiers au Bruxellois Daniel Leyniers en 1750.
Les collections personnelles des princes-évêques du XVIIIe siècle restent mal connues. Les inventaires des successions de Georges-Louis de Berghes et de François-Charles de Velbrück sont d’un grand intérêt car ils mentionnent les biens mobiliers se situant au palais épiscopal, au château de Seraing et au château de Hex en ce qui concerne Velbrück. L’inventaire de ce dernier, dressé en 1784, mentionne une tenture à Seraing, ainsi que dix tentures au palais de Liège, dont une Histoire de Moïse. Une tenture des Saisons lui ayant appartenu, tissée aux Gobelins à Paris, vient d’être redécouverte à la National Gallery de Washington ; elle fera l’objet d’une prochaine publication.
(D’après Anne-Sophie Laruelle)
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