Normandie
Le 6 juin 1944, Jean Pivain avait 14 ans. Évacué de Cherbourg quelques mois plus tôt, c’est dans le Sud-Manche qu’il apprend l’arrivée des Alliés. Il se souvient des contraintes de l’Occupation mais aussi de l'insouciance de l’enfance.
Jean Pivain avait 9 ans à la déclaration de la guerre. « La déclaration de guerre a surpris tout le monde. Les Poilus avaient dit que la guerre 14-18 était la “Der des Ders” et 20 ans après, on était de nouveau en guerre. » Le père de Jean avait d’ailleurs été grièvement blessé lors de la Première Guerre mondiale et mourra de ses blessures en 1942.
Jean et sa famille habitaient Cherbourg, une ville maritime stratégique pour les Allemands. De 1939 à 1940, c’était un port de débarquement des troupes anglaises. « Nous les enfants, on regardait passer les Anglais, on échangeait des insignes. » Après avoir percé les Ardennes, les Allemands arrivent à Cherbourg le 18 juin 40. « La première chose que les habitants ont constatée, c’est que le lendemain, le drapeau à la croix gammée flottait sur la montagne du Roule, le symbole de Cherbourg. C’était un choc pour tout le monde. »
Le drapeau à la croix gammée flottait sur la montagne du Roule
Les Allemands s’imposent dans la ville, prenant les meilleurs immeubles pour installer la kommandantur, l'organisation Todt, réquisitionnant tous les lieux stratégiques, la gare maritime, l’arsenal… « Il y a une foule de contraintes qui sont arrivées. Le couvre-feu tout d’abord, de 9 h à 6 h du matin, interdiction de sortir. Il fallait éteindre les lumières de nos maisons pour éviter que ça crée des repères pour les avions anglais. C’est quelque chose d’être privé de liberté. En plein été, alors qu’on aime bien être dehors le soir, eh bien vous êtes contraint de rentrer chez vous. »
Jean se souvient des bombardements quotidiens de Cherbourg pendant cette période. « Les Anglais bombardaient des positions stratégiques, mais il y avait des bombes qui tombaient à côté.» En juillet 1941, des bombes destinées à l’arsenal tombent sur la plage, 13 enfants sont tués et autant sont blessés.
Malgré ces drames, Jean se rappelle aussi les bons souvenirs, témoignant de l’insouciance propre de son âge. « Mon frère avait récupéré des casques anglais. Quand les Anglais bombardaient Cherbourg le soir, on ouvrait les fenêtres du 3e étage, on mettait les casques et on regardait les avions, les projecteurs, les balles, c’était un feu d’artifice. Notre mère n’en a jamais rien su. »
« À partir de 1939, on nous a donné des masques à gaz. C’était marrant, on portait ça en plus de nos cartables, on en faisait presque un jeu. Notre scolarité était normale. La seule chose différente, c’est qu’en histoire, on ne parlait pas du tout de la guerre de 14-18 donc on apprenait à la place nos villes. Moi, j’ai appris la ville de Cherbourg, le nom des rues... »
Enfant, j’ai vécu les quatre ans de contrainte de la guerre
« Enfants, on a été privés de beaucoup de choses, j’ai passé quatre ans sans manger une orange. Il n’y avait pas de chocolat. À la place du café, on mangeait de l’orge grillée. Au niveau alimentation, les Allemands mettaient la main sur tout, alors le gouvernement de Vichy avait mis en place des tickets de rationnement. Nous, on ne s’en rendait pas compte, mais nos parents souffraient beaucoup. Les mères de famille faisaient la queue dès le matin à 6 h pour aller chercher du pain ou de la viande. Elles ont eu beaucoup de mérite. Ma mère s’est retrouvée veuve avec trois enfants en 42, elle s’est remise à faire de la couture pour subvenir à ses besoins. J’ai de l’admiration pour cette génération-là.»
En 1943, les Allemands considèrent Cherbourg comme une ville interdite, ils en font une forteresse et les habitants qui ne sont pas nécessaires sont évacués. Jean Pivain et ses copains d’école sont alors envoyés dans le sud du département de la Manche avec leurs professeurs. « Hormis la séparation avec nos familles, ça allait, on avait les mêmes professeurs, la ville de Saint-James était beaucoup plus calme que Cherbourg. On faisait nos devoirs du soir avec nos professeurs. Les années 1943, 1944, j’ai très bien travaillé à l’école et ça m’a servi pour la suite.»
Le 6 juin 44, j’ai fait une composition de maths
« Le 6 juin 44, notre professeur, un homme très jovial, est arrivé et il a dit : “Mes enfants, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer : les Anglais ont débarqué sur les côtes du Calvados”. On s’est tous mis à chahuter. Et il a repris : “Calmez-vous, ce matin, on a une composition de maths” ».
À partir du 6 juin, les pensionnaires sont coupés de toute information. Jean reçoit la dernière lettre de sa maman le 8 juin. « On ignorait totalement ce qui se passait. Je ne m’inquiétais pas du tout de ma mère puisque je ne savais rien. » Fin juin, par peur de combats violents à Saint-James, il est décidé de répartir les 150 enfants dans les fermes alentour. « Moi, j’étais chez un couple de paysans, dont j’ai gardé un souvenir formidable. J’ai passé du 30 juin au 31 juillet un mois de vacances à la campagne. C’était plaisant.»
Puis vient l’opération Cobra, l'offensive américaine menée fin juillet 1944 pendant la bataille de Normandie afin d’ouvrir la route de la Bretagne. Jean assiste à la déroute des Allemands et se souvient du calme complet le 31 juillet. Le lendemain, lui et sa famille d'accueil découvrent des soldats dans le champ à côté, non pas anglais comme ils le pensaient, mais américains. « Le paysan m’a donné une bouteille de calva pour faire une tournée. Alors j’ai fait le tour des Américains pour leur donner un verre, ils buvaient cela comme des cow-boys et après, ils me disaient “oh yes good !” »
Le 8 août 1944, Jean et ses camarades repartent à Cherbourg. « C’est là qu’on a pris conscience de ce qui s'était passé. On a vu Avranches bombardé, Coutances… Lessay, la Haye-du-Puits, Saint-Sauveur-Valognes, sur le bord des routes, il y avait des chars, des camions incendiés. »
Arrivant à Cherbourg, par les hauteurs d’Octeville, Jean découvre la rade noire de bateaux. « Mes yeux se sont portés sur la gare maritime qui avait été bombardée. Je suis descendu du car, j’ai embrassé ma mère et on est allés dormir chez ma grand-mère, car notre maison était devenue inhabitable. »
Je n’ai jamais vu les gens aussi heureux
« À partir de la Libération, les gens n’avaient pas retrouvé leur manière de vivre, il y avait toujours des restrictions, mais ils avaient retrouvé la liberté donc on ne parlait plus de ce qui s’était passé. » D’ailleurs, Jean découvrira l’histoire d’Utah beach et d’Omaha beach, à seulement 20 ans.
« Je n’ai jamais vu, malgré les contraintes qui restaient, les gens aussi heureux. En 1948, il y avait des radio-crochets amateurs qui se faisaient dans la ville, des bals populaires, il y avait une osmose. » Témoignant régulièrement auprès des jeunes, Jean explique les contraintes qu’ils ont connues étant enfants. « Cela nous a rendu service. Ça nous a forgé le caractère. On a été séparés très vite de nos parents alors on est devenus responsables très jeunes, on est devenus adultes avant l’heure.»
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