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Les Enfants du jour J. Andrée Auvray : « Il n’y avait que la vie qui comptait »

Un article rédigé par Bénédicte Buisson - RCF Calvados-Manche, le 3 juin 2024 - Modifié le 4 juin 2024
Les Enfants du jour J[Épisode 5] Andrée Auvray et la libération de Sainte-Mère-Église

Andrée Auvray a vécu le Débarquement à Sainte-Mère-Église, le 6 juin 1944. Après le parachutage, 120 personnes ont trouvé refuge chez elle. Elle retient de cette période une grande fraternité.
 

Andrée Auvray, âgée de 97 ans, vit toujours à Sainte-Mère-Église ©RCF MancheAndrée Auvray, âgée de 97 ans, vit toujours à Sainte-Mère-Église ©RCF Manche

« On savait que le Débarquement allait avoir lieu en juin. » À 17 ans, jeune mariée et enceinte de son premier enfant, Andrée Auvray vivait avec son mari à Gambosville, près de Sainte-Mère-Église. Un régiment allemand occupait leur ferme depuis le mois de mars. Mais le mercredi précédent le Débarquement, l’officier allemand lui annonce qu’il doit réquisitionner des chevaux et des voitures, avant de rajouter tout bas : «  Débarquement Cherbourg, nous devons partir dans la Hague ». « Ça a été une chance, la nuit du Débarquement, on n’avait plus d’Allemand à la maison. Il n’y avait plus que la troupe d’occupation à Sainte-Mère-Église », raconte Andrée.

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Sainte-Mère-Église, l’une des premières villes libérées

Dans la nuit du 5 juin au 6 juin 1944, Sainte-Mère-Église entre dans l’Histoire. À partir d’une heure du matin, la ville voit des parachutistes pleuvoir sur le bourg et ses alentours. « La nuit du parachutage, mon mari m’a dit : "on descend dans la tranchée, car cette fois, c’est sûr, c’est le Débarquement". Tout d’un coup, on entend les chiens aboyer. On voit trois soldats, courbés, avec leur baïonnette en avant, qui avaient été parachutés dans notre champ ». Andrée s’exclame alors : « Voici les Tommies ». « On appelait les Anglais, les Tommies. Nous, on attendait les Anglais, pas les Américains ». Son mari indique aux Alliés comment rejoindre Sainte-Mère au plus vite. « Il fallait se méfier, car les champs étaient minés, on avait un cheval qui avait sauté sur une mine dans un fossé. »
 

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120 réfugiés accueillis

À 8 h du matin, ce 6 juin 44, Andrée voit arriver à la ferme une foule de gens, à pied, avec des couvertures et quelques bagages. Les Américains avaient donné l’ordre aux civils de se mettre à l’abri en campagne, car il y avait encore des Allemands dans le clocher de l'église. « Il y a eu 65 morts civils à Sainte-Mère, tués à cause des éclats d’obus tirés entre les Américains et les Allemands. Une amie a été tuée à sa fenêtre par un éclat d’obus, car elle ovationnait les Américains qui arrivaient. »

On a nourri, pendant un mois, 120 personnes 

« Heureusement, les vaches, les chevaux étaient dehors à cette époque de l’année, les écuries étaient propres, donc les gens s’installaient dedans. » Ce matin-là, son oncle boulanger, prévoyant, avait fait sa tournée de pain dès 4 h 30. Il est arrivé à la ferme avec une brouette remplie de pain. « On avait des moutons, des cochons, un grand jardin, du lait, des œufs… On avait tout ce qu'il fallait pour nourrir les gens.»

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Andrée n’était pas au bout de ses surprises. Les Américains aménagent, dans le champ à côté de leur ferme, un hôpital de campagne et la Croix-Rouge vient s’y installer. Elle-même est bénévole de la Croix-Rouge et sera très sollicitée pendant ce mois de juin 1944.

On était l’arrière du front, on nous amenait les blessés à soigner 

C’est dans ces conditions particulières qu’Andrée met au monde son premier enfant le 19 juin. « Quand j’ai accouché, je n’avais plus de lit, car une dame, qu’on accueillait, a accouché trois jours avant moi. Toutes les nuits, j’allais dormir, assise dans la tranchée, avec ma valise de layette, pour avoir du linge pour le bébé au cas où la maison brûlerait. Eh bien, une partie de ma layette a servi pour l’autre enfant. Parmi les réfugiés, il y avait au moins 12 enfants de moins d’un an, on faisait des couches avec des vieux draps », se souvient-elle.

Andrée Auvray avait 17 ans le 6 juin 1944 ©DR

Une période marquée par une grande fraternité

« Comment 120 personnes arrivaient à vivre ensemble dans ces conditions ? » , demande-t-on à Andrée. « Tout le monde mettait la main à la pâte. À cette époque-là, vous savez, on aurait tout donné, il n’y avait que la vie qui comptait. »


« Quand les Américains sont arrivés, pour nous, c’était la délivrance. On les a ovationnés. Ils ont été surpris de cet accueil, car on leur avait fait un triste tableau des Français, les décrivant comme des collaborateurs. Et ils ont été surpris de voir des gens prêts à les aider pour tout. Les hommes enterraient les morts. On était très coopératifs. »

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Andrée a mis du temps avant de raconter ses souvenirs à ses enfants. Il a fallu le tournage du film Le Jour le plus long, en août 1961 à Sainte-Mère-Église, pour qu’elle commence à partager ses souvenirs. « Ils refaisaient les scènes du 6 juin. Les avions passaient, ça faisait un bruit infernal, les enfants ne pouvaient pas dormir. »

Parmi ses souvenirs douloureux pendant la Guerre, Andrée retient les étoiles jaunes qu’elle voyait sur des passants lorsqu’elle allait à Paris, mais aussi le temps de l’épuration après la Libération, avec des dénonciations marquées par la jalousie et les règlements de comptes.

Ça nous a appris à partager et à penser aux autres 

Âgée aujourd’hui de 97 ans, Andrée Auvray continue de témoigner régulièrement, notamment auprès des enfants. « C’est très important de faire comprendre aux enfants le bonheur qu’ils ont de vivre leur adolescence en liberté », dit-elle en citant le couvre-feu, la peur ou encore les sirènes qui sonnaient pour prévenir des bombardements. « Mais cela nous a appris l’entraide. Pour notre génération, ça nous a appris à vivre, ça a changé nos vies ! »

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