Cette semaine je veux réparer un oubli au dernier festival de Cannes. Un des films est reparti bredouille alors qu’il s’agit d’un des films les plus forts de la compétition : c’est le film "R.M.N." de Cristian Mungiu.
S’il y avait un réalisateur qui méritait une deuxième palme d’or, c’était bien lui ! Plutôt que Ruben Ostlund pour "Sans filtre" (bien mais long et déjà vu). Cristian Mungiu avait reçu la palme en 2007 pour "4 mois, 3 semaines, 2 jours". Mais pas de prix du tout pour "R.M.N.", quand 10 films sur 23 ont été distingués en tout cette année, c’est injustifié !
RMN, c'est l'acronyme roumain de IRM en français. Le film est un passage au scanner de la vie dans petit village de Transylvanie. Ça se passe dans cette région très rurale de l’ouest de la Roumanie mais cela pourrait se passer n’importe où en Europe. Le village est un microcosme où se concentre toutes les peurs actuelles, individuelles et collectives, face à la mondialisation et à l’afflux d’étrangers.
L’histoire c’est celle de Matthias, parti travailler dans un abattoir en Allemagne, qui revient chez lui s’occuper de son fils, Rudi. Il retrouve aussi son ancienne petite amie qui dirige la petite boulangerie industrielle locale et essaie tant bien que mal de recruter des ouvriers.
Cette région est une mosaïque culturelle où les habitants parlent plusieurs langues. Ils parlent roumain, hongrois, allemand. C’est lié à l’histoire du pays. C’est pour cela qu’il faut vraiment voir le film en VO car les sous-titres sont de couleurs différentes selon les langues. On comprend mieux les tensions qui montent entre les ethnies et le bouillonnement de ce chaudron multiculturel.
Cristian Mungiu pointe aussi les contradictions de ces habitants. Les villageois s’opposent violemment à l’embauche de deux travailleurs sri-lankais, alors qu’eux-mêmes préfèrent partir à l’étranger pour des salaires plus élevés. Il montre surtout comment la peur de l’étranger est ancestrale, viscérale, et comment elle forme le terreau du communautarisme et du populisme.
Le propos est implacable. Le film est sobre et sec. Les scènes sont tournées en longs plans-séquences, avec peu d’effets de mise en scène. Une séquence d’anthologie, c’est la confrontation finale de tout le village dans la salle communale qui dure 17 minutes, sans coupures, on en sort groggy ! D’autres se passent dans la forêt qui entoure le village, dans une atmosphère étrange qui donne une dimension de conte métaphorique au film, avec notamment le mutisme énigmatique du petit Rudi, symbole de la génération qui arrive.
Un autre film d'Europe de l'Est a marqué le festival de Cannes, "EO", de Jerzy Skolimowski. Il a reçu le prix du jury ! C’est un ovni, une symphonie visuelle, une sorte de poème allégorique sur l’état du monde vu à travers les yeux d’un âne. Eo c’est l’onomatopée "hi han" en polonais.
On suit cet âne sur les routes d’Europe, quasi sans paroles, où il est tour à tour maltraité, abandonné, rejeté par les hommes. C’est poignant, somptueux esthétiquement, avec des plans hallucinatoires ! La filiation avec le film de Robert Bresson "Au hasard Balthazar" est évidente. Comme chez Bresson, il y a une grâce chez cet âne qui le rend plus humain que les hommes.
Avec une pointe d’ironie en plus : au début du film, il est exfiltré d’un cirque par un groupe de militants écologistes soucieux de la cause animale, alors que la jeune fille avec laquelle il faisait son numéro est la seule qui l’aimait. C’est une expérience cinématographique et sensible, à voir !
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