Les villes de Paris, Rouen, Strasbourg, Bayeux ou Chartres ont en commun d'avoir en leur centre une majestueuse cathédrale gothique. La réouverture de Notre-Dame de Paris, prévue pour le 8 décembre 2024, est l'occasion d'en savoir plus sur ces édifices étonnants. Et sur le fameux "temps des cathédrales" que l'on a souvent du mal à situer dans le temps !
L’expression "le temps des cathédrales" a été popularisée par la chanson de la comédie musicale "Notre-Dame de Paris". On oublie que c’est d’abord un livre que Georges Duby (1919-1996), le grand historien spécialiste du Moyen Âge, a publié en 1976. Et, dans les imaginaires, ce temps des cathédrales correspond peu ou prou au Moyen Âge, ou alors à la période de l’art gothique. L'historien François Icher, spécialiste de l'histoire du compagnonnage et auteur du livre "Les œuvriers des cathédrales" (éd. La Martinière, 2012), nous aide à y voir plus clair.
On aurait tort de croire que le temps des cathédrales ne correspond qu’à la période gothique. D’une part parce les premières cathédrales sont pas apparues bien avant le Moyen Âge - c’est au Ve siècle que se situe, rappelle François Icher "l’acte de naissance des cathédrales". D’autre part parce que "nous vivons encore aujourd’hui dans un temps des cathédrales", souligne l’historien.
C’est donc au Ve siècle, voire au IVe siècle, que les premiers édifices cathédraux ont vu le jour. "Cathédrale" vient du mot grec "cathedra" qui désigne le siège de l’évêque. Si "ecclesia", ou "assemblée de fidèles" a donné son nom aux églises, la cathédrale est "bien plus qu’un lieu de prière", explique François Icher. "C’est un lieu où se conjuguent l’économique, le politique, le spirituel, le symbolique, l’artistique."
Les historiens parlent en effet de "quartier cathédral" pour désigner un grand ensemble organisé autour de la "domus épisocopi", la maison de l’évêque, où siégeait son administration. Ensemble qui comptait également un hôtel-Dieu, c’est-à-dire un hospice, ainsi que, plus tard, une université. Les premières cathédrales n’étaient pas les grands édifices comme on en voit à Reims, Chartres ou Strasbourg. C’est à partir du XIIe siècle de ces immenses chantiers ont vu le jour.
Le royaume de France a connu aux XIIe et XIIIe siècles une véritable explosion démographique, doublée d’une période d’expansion économique. Cette période de paix relative a favorisé l’innovation dans le domaine de l’agriculture. Charrue, système d’attelage ou assolement triennal ont permis de meilleurs rendements. "Ce n’est pas par hasard, nous dit l’historien, que c’est dans l’Île-de-France, qui est un grenier à blé, que va émerger ce nouveau prototype de cathédrales qu’est la cathédrale gothique." Ce pourquoi on dit aussi que la cathédrale est "fille des moissons".
Mais l’on dit aussi que les grands édifices majestueux que l’on connaît sont "filles des villes". La spécificité des cathédrales en effet, c’est de "s’implanter dans la ville, au cœur de la ville", rappelle François Icher. Dans ce royaume de France essentiellement rural, s’est opéré un "basculement entre l’urbain et le rural". "La civilisation va se symboliser dans la ville, et l’expression rustique, rustre, va désigner le rural. L’avenir à partir de cette époque-là se trouve dans la ville, la ville est le symbole de modernité par excellence. Et la cathédrale va être un des critères qui vont incarner cette modernité."
Avec près de 43 mètres sous voûte, la cathédrale d’Amiens est la plus grande des cathédrales gothiques de France. Mais que l’on visite celle-ci ou celles de Bayeux, de Chartres, ou de Paris, on ne peut qu’être interpelle par la taille des édifices. Pourquoi avoir bâti de si grandes églises ? "Une première lecture rapide sinon partielle, voire partiale, répond François Icher, consisterait à dire que les cathédrales deviennent trop petites par rapport à une assemblée de fidèles qui devient de plus en plus grande."
Ne pas oublier qu’à cette époque "l’évêque est le véritable patron de la ville". Il a pour objectif d’assoir son pouvoir spirituel et temporel. Et à une époque où s’opère une « bascule entre le bois et la pierre », il peut envisager des construction plus solides. "L’Église a une certaine relation avec le temps, le défi étant de perdurer, de proposer un édifice le plus intemporel sinon le plus éternel possible. En ce sens la pierre a une vertu que ne peut offrir le bois."
On assiste à une véritable surenchère entre cités. "Qui aura le symbole le plus visible, le plus haut, le plus important ? La cathédrale participe de ce défi que peuvent se lancer les villes… Elle participe d’un enjeu de pouvoir, d’en enjeu de vouloir, d’un enjeu de savoir." À condition qu’une carrière de pierre se trouve non loin du chantier, de même qu’une forêt suffisamment dense.
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