Alors que tous les regards se tournent vers le Qatar ces derniers jours à l’occasion de la Coupe du monde, beaucoup ignorent l’histoire de ce pays, son développement fulgurant et le poids que les traditions y occupent. À peine plus grand que la Corse, le pays pèse aujourd’hui financièrement dix fois plus que la France. Entre moyens pharaoniques et conditions de vie misérables, le territoire est miné de paradoxes.
Le Qatar est un territoire contraignant. Les chaleurs y sont extrêmes, les terres arides, l'eau y est rare. Christian Chesnot est journaliste à France Inter. Il est également l’auteur du livre "Le Qatar en 100 questions" (éd. Tallandier). Il rappelle les racines du pays : "Ce sont des tribus bédouines qui ont nomadisé au XIXe siècle et ont planté leur tente au Qatar." Les bédouins ont développé une activité de pêche, et ont su jouir d’une situation stratégique sur la route des Indes. Malgré ça, le pays est resté longtemps invisible. Le journaliste en parle comme d’un "angle mort, un cul-de-sac oublié".
En 1853, les Anglais signent avec les locaux un motus vivendi et deviennent les "parrains" de cette région jusqu’à son indépendance, en 1971. Pour Christian Chesnot, "on ne peut pas vraiment parler de colonisation mais les anglais ont assis leur pouvoir et exerçaient un contrôle depuis Londres". S’il existait une ambition de fédérer le Bahreïn, le Qatar et les Émirats, elle tombe vite à l’eau. Le Qatar refuse l’alliance avec ses voisins, et pose les bases d’une relation qui restera tendue.
Une figure marquante pour le pays est le Cheikh Jassim Al Thani. Ce cavalier émérite décide de fédérer les tribus pour que le pays cesse d’être la proie des Émirats voisins. Il meurt le 18 décembre 1913, date de la fête nationale et jour de la finale de la coupe du monde. S’ensuit une période de crise pour les Qataris : "Dans les années 1930 et 1940, les gens ne mangent pas à leur faim." C’est le pétrole qui, dans les années 1950, aide le pays à sortir de la misère. Avec ses premiers "pétrodollars", le Qatar crée ses premiers hôpitaux et infrastructures modernes qui lui permettront, à terme, de figurer parmi les grands de la planète.
En 1995, le Cheikh Hamad ben Khalifa destitue son père et prend le pouvoir avec un objectif précis : faire peser le Qatar sur l’échiquier international. Le Cheikh s’installe à la tête d’un pays déjà enrichi par le pétrole et le gaz. Ces grands moyens lui permettent d’avoir de grandes ambitions, et d’étendre une politique de soft power. Ce pouvoir, crucial pour un pays coincé entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, se décline dans tous les domaines. Le Cheikh Hamad est "celui qui a compris les enjeux de la mondialisation avant tout le monde". Il crée notamment Qatar Airways, devenue l’une des premières compagnies aériennes au monde.
Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef à La Croix, rappelle qu’en 1990, le Qatar "n’existe pas sur la carte" et évoque une "trajectoire incroyable". Aujourd’hui, son fonds souverain s’élève à 450 milliards de dollars, contre 45 milliards pour la France. Sur les près de 3 millions d’habitants, seuls 300.000 ont la citoyenneté qatarie.
Le brassage est source de richesses comme de paradoxes. Être qatari signifie bénéficier gratuitement d’eau et d’électricité. Cet État-providence garantit aux citoyens de l’argent en abondance dès la naissance. "Cette surabondance du jour au lendemain a totalement modifié leurs modes de vie", note Christian Chesnot. À tel point que le taux d’obésité atteint vite 30% avec l’arrivée des fast-foods.
"On est entrés dans une nouvelle configuration", souligne Jean-Christophe Ploquin. L’environnement et les relations avec Israël sont très intenses, la région est en totale recomposition. Donald Trump a enclenché une nouvelle dynamique, provoquant des accords de paix entre Israël et le Bahreïn, et des rapprochements officieux entre différents acteurs de la région. Le Qatar occupe un rôle particulier, sachant qu’il "héberge et finance le Hamas". Ce mouvement islamiste lié aux frères musulmans contrôle la bande de Gaza.
Le mouvement religieux qui règne au Qatar est le wahhabisme. "Il est plus modéré, laissant les femmes conduire ou aller à l’université. Il permet de consommer de l’alcool dans les hôtels si l’on porte une tenue européenne", illustre Christian Chesnot. La tenue, justement, occupe toute sa place dans l’identité qatarie. Elle permet de distinguer les citoyens. "S’ils ne la portent plus, ils disparaissent de l’espace public", souligne Jean-Christophe Ploquin. Depuis 1993, le Qatar entretient des relations avec le Vatican. Relations qui ont permis de construire une église sur le territoire, Notre-Dame-du-Salut. Elle accueille une importante communauté brassée.
Les deux recettes du Qatar sont "le pétrole et les hommes". On parle souvent à cet égard des fourmis : en dix ans, le Qatar a importé 1 million d’étrangers pour les travaux d’infrastructures liés à la compétition. Recrutés principalement au Népal, aux Philippines ou en Afrique subsaharienne, ces ouvriers constituent une main d’œuvre facilement exploitable et privée de droits une fois sur place.
Le pays profite de sa richesse pour résoudre les problèmes et les crises internationales. C’est la "diplomatie du carnet de chèque". Christian Chesnot explicite aussi la "diplomatie de la Rolex", qui consiste à offrir aux VIP des montres de luxe pour les séduire. Cette pratique est courante, puisque les 100 meilleurs bacheliers du pays se sont vu offrir une Rolex l’année dernière. Cette tendance à tout vouloir acheter ne fonctionne pas partout bien qu'en France, les investissements qataris s’élèvent à 25 milliards de dollars. Mais "en voulant s’insérer dans tous les tissus, ils jouent avec le feu", nuance Jean-Christophe Ploquin.
Le Qatar espère recevoir 1 million de visiteurs pour la Coupe du monde, et y voit l’occasion de briller sur la scène internationale.
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