Pourquoi les écologistes font-ils leurs meilleurs scores dans les quartiers aisés des grandes villes ? Les citoyens modestes des banlieues et des zones rurales éloignées des villes se désintéresseraient-ils de l'avenir de la planète et donc de celui de l'humanité ? Et si les réponses étaient à chercher du côté des mots et de la manière dont les "écologistes" racontent l'écologie ?
"On a tendance à considérer qu'agir pour l'écologie c'est lire les rapports du GIEC. Or, c'est une manière de se sensibiliser mais ce n'est pas une solution !" Pour Bastua Soimadoune, consultante en RSE, journaliste et militante pour l’écologie populaire, sociale, solidaire et décoloniale, la culture qui porte l'écologie a tendance à être élitiste et exclut de fait les citoyens des quartiers populaires. Ainsi, pour elle, "le fait de trop souvent mettre en avant les rapports du GIEC, les rapports scientifiques et les lectures scientifiques a tendance à intimider et à éloigner certaines personnes de l'écologie, ce qui est dangereux..."
« Dans les quartiers populaires "écologie" c'est connoté généralement assez bourgeois », admet Lauren Lolo, co-fondatrice et directrice général de l'association Cité des chances. Est-ce à dire que les citoyens les plus modestes se désintéressent des enjeux écologiques ? Ils en sont pourtant les premières victimes... "Quand on parle de l'écologie d'une autre manière, ajoute Lauren Lolo, plus en phase avec la manière dont les habitants et habitantes des quartiers populaires le perçoivent, ça entre beaucoup plus en résonnance avec ce qu'ils constatent de l'écologie." D'ailleurs elle préfère employer le terme environnement "parce que ça leur parle beaucoup plus".
Doctorante en sociologie, Fanny Hugues réalise une thèse sur les modes de vie fondés sur des pratiques de "débrouille". Elle a étudié les pratiques de 40 personnes vivant avec de faibles revenus dans six départements ruraux. "Pour les personnes que j'ai rencontrées, l'écologie passe par la pratique et non pas par un discours." Ce qu'elle appelle "débrouille" ce sont des pratiques très concrètes, comme "récupérer, réparer, fabriquer, autoproduire, etc." Or, ces pratiques "de fait écologiques" sont souvent "invisibilisées".
La jeune chercheuse essaie donc de "visibiliser" les modes de vie des personnes qu'elle rencontre, des modes de vie durables. Tout en "essayant de comprendre comment elles et ils appréhendent les questions environnementales". Car, Fanny Hugues le constate également, les partis écologistes comme Europe Écologie Les Verts (EELV) sont considérés par certaines personnes "comme un parti assez élitiste". Un parti "déconnecté de la réalité rurale" enclin à "imposer" des politiques publiques et "notamment des grands projets inutiles".
L'écologie politique peut-elle rejoindre les plus modestes ? Pour la journaliste et consultante Bastua Soimadoune, ce sont les partis qui doivent doivent changer. Et qui doivent aller à la rencontre des personnes auxquelles ils n'ont pas l'habitude de s'adresser. "C'est la manière dont est racontée l'écologie qui ne parle pas. Et cela, ça dit plus des choses des partis eux-mêmes que des personnes des quartiers populaires ou des DROM (départements et régions d'outre-mer)." Elle cite par exemple le cas de Jean-Luc Mélenchon : "Les quartiers populaires se sont mobilisés pour Mélenchon parce que Mélenchon s'est adressé aux quartiers populaires, s'est déplacé pour leur parler et leur a parlé de leur vécu, de leurs problématiques, avec leurs propres termes." Elle regrette donc que des partis plus écologistes "ne cherchent pas spécialement à discuter avec des personnes des quartiers populaires et des DROM".
Le problème pointé par Bastua Soimadoune, Fanny Hugues et Lauren Lolo est celui de la représentation au sein des institutions. "C'est le fait d'avoir des personnes qui ne nous ressemblent pas, qui ne vivent pas dans nos quartiers, résume Lauren Lolo, moi dans les quartiers populaires je vois très peu de groupes locaux, écolos, etc. Finalement ça se ressent aussi dans les voix. Le fait d'avoir des personnes qui nous ressemblent, qui parlent un langage qu'on connaît, qui vivent nos réalités et qui donc savent nous parler parce qu'elles savent ce qu'on vit, ça joue énormément." La solution, pour la directrice de Cité des chances, serait de "faire émerger des figures qui viennent de ces quartiers".
Avec le programme "La cité a voté", l'association Cité des chances a organisé une "tournée des quartiers populaires en Île-de-France". "On fait 16 villes, de Bobigny à Sarcelles en passant par Fosses, pour partir à la rencontre des jeunes et les encourager à voter mais aussi à s'exprimer", raconte Lauren Lolo. Vulgariser la politique auprès des jeunes de banlieue, c'est l'un des objectifs de Cité des chances. "Leur donner envie de s'engager, de prendre confiance en leurs capacités et de porter leur propre voix, pour, on espère, créer une nouvelle génération politisée et pourquoi pas de nouveaux élus et nouvelles élues qui viendraient de quartiers populaires..."
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