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Abus sexuels : l'Église peut-elle entrer "dans la société du droit et de la transparence" ?

RCF, le 17 juillet 2023 - Modifié le 17 juillet 2023
Les mardis du Centre SèvresAbus : un moment de vérité pour l’Église

Le 5 octobre 2021 sera un jour historique pour l'Église catholique : la remise publique du rapport Sauvé a fait entrer l'Église dans la société du droit et de la transparence. C'est du moins ce qu'espère la présidente de la Corref, et c'est ce qui ressort des préconisations de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église).

©Unsplash©Unsplash

 

Abus sexuels : à chacun de se sentir concerné par ce qui s'est passé


Des chiffres que la Ciase a jugés "accablants". Depuis 1950 jusqu’en 2020, 216.000 personnes ont déclaré avoir été abusées par les clercs ou des religieux dans le cadre de l’Église catholique. "Un chiffre qui place l’Église au deuxième plan dans la hiérarchie de l’horreur au cours de ces dernières années, déclare Philippe Portier, d’autres institutions ont également été le foyer d’abus, de violences, cela a été le cas bien davantage pour l’Église catholique." Autre chiffre : en 70 ans, on compte 3.000 prêtres abuseurs, des prêtres "dont nous connaissons de manière précise l’identité et la trajectoire", ajoute le politologue, qui a travaillé sur les archives des diocèses et des congrégations religieuses.

 

"À lire le rapport, il est bien clair que personne de nous, quelles que soient ses compétences, quelle que soit sa bonne volonté, quelle que soit son intégrité, n’aurait pu mener ce travail à l’intérieur", admet Véronique Margron. Pour elle, le fait qu’une commission indépendante a été nommée a déjà de quoi susciter une espérance. De même que l’intérêt que porteront les uns et les autres au rapport. Si chacun arrive à "se sentir concerné par ce qui arrive", il y a là aussi de quoi espérer. Et pourtant ce n’est pas simple, le pape François lui-même a parlé "d’effroyable réalité". 

 

Une mécanique de connivences qui a encouragé les abus

 

Certains témoignages de victimes, cités dans le rapport, font état d’abus perpétrés pendant les sacrements, ou bien juste avant ou juste après. "C’est inimaginable et pourtant c’est le réel, dit Véronique Margron, ce qui fait le cœur de la foi, ce qui fait vivre la foi s’est trouvé dévoyé au service des abus. Ça a participé à ce qu’en fin de compte l’Église soit aveuglée." Autres éléments d'explications : la sacralisation du prêtre ou du religieux, tout ce qui fait "qu’il n’y a plus de vigilance". Et aussi le contexte des années 80 et du renouveau de l’Église. Des groupes jeunes et dynamiques dont "personne ne s’est soucié" du mode de gouvernance... "Comme si l’Église avait été aveuglée par la réussite."

 

Pour Philippe Portier, les abus ne sont pas seulement le fait d’individus à la psyché déficiente. Il y a eu tout un processus systémique qui a pu encourager ces actes. "Il y a processus systémique lorsque celui qui sait qu’un mal se produit ne fait rien pour l’entraver et fait tout pour le dissimuler." Il pointe du doigt des "mécanismes de connivence" entre "l’abuseur et son supérieur hiérarchique", qui expliquent "la politique que l’Église a menée depuis les années 50 à l’égard des prêtres abuseurs, dont elle connaissait les noms, dont elle saisissait les itinéraires et que pourtant elle laissait œuvrer dans leur dynamique du mal".

 

L'Église peut-elle entrer "dans la société du droit et de la transparence" ?

 

"Un crime n’est pas de l’ordre du péché, c’est un crime." Pourquoi l’Église a-t-elle tant de mal "à nommer un chat un chat", comme le dit la présidente de la Corref ? Pour Véronique Margron, ne pas avoir su nommer la gravité des abus a "participé à une forme d’aveuglement". La Ciase juge le droit canonique en discordance avec une société démocratique.

 

D'ailleurs, il en est de même avec la notion de scandale. Si aujourd’hui "le scandale c’est ce qui porte atteinte à la dignité d’un être", la notion n’a pas été entendue ainsi dans l’Église depuis… le XIIIe siècle. "L’Église a développé une autre théologie du scandale qui remonte au XIIIe siècle et qui voit le scandale d’abord comme ce qui porte atteinte à l’honorabilité de l’Église et à la respectabilité de ses membres, et en particulier des plus nobles d’entre eux, les prêtres." Pour Philippe Portier, on peut lire dans le rapport Sauvé que "toute la stratégie de l’Église est portée par cette idéologie-là, cette idée qu’il faut tout faire pour éviter que l’Église ne soit jetée à l’opprobre de l’opinion publique".

 

Les années 2020 verront-elles l’Église entrer de plain-pied "dans la société du droit et de la transparence" ? Dès le lendemain de la remise du rapport, les médias s’emparaient du débat sur le secret de la confession : peut-il être "plus fort que les lois de la République", titrait France Info ? "Je veux croire de toutes mes forces que ce matin [du 5 octobre 2021, ndlr], c’est ce qui s’est passé pour l’Église d’entrer dans la société du droit et de la transparence, a dit Véronique Margron, c’est sans doute ça le premier lieu de l’espérance."

 


Une conférence du Centre Sèvres

 

Le mardi 5 octobre 2021, le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), présidée par M. Jean-Marc Sauvé, a été remis publiquement. Le soir même, le Centre Sèvres - Facultés jésuites de Paris proposait une première conférence sur le sujet dans le cadre de ses Mardis d’éthique publique.

Animation : Stéphanie Gallet, rédactrice en chef Culture et société à RCF, François Euvé et Jean-Luc Pouthier

Invités : Véronique Margron, dominicaine, théologienne, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) et Philippe Portier, politologue, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE) et membre de la Ciase, co-auteur de "La religion dans la France contemporaine" (éd. Armand Colin, 2021).

 

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