Se lancer dans une nouvelle production, changer son organisation de travail ou ajouter une activité annexe, les agriculteurs du 21e siècle doivent être plus que jamais des entrepreneurs. Une dynamique entrepreneuriale qui enrichit le métier, mais qui le complexifie également.
Quel agriculteur peut dire aujourd’hui qu’il travaille comme ses parents ? Face à la situation économique, démographique, climatique, nombreux sont ceux qui s’éloignent d’un système traditionnel, transmis par les générations précédentes, et osent de nouvelles choses sur leur exploitation. Certains ajoutent à la production agricole des activités annexes : transformation des produits fermiers, production d'énergie ou encore agritourisme.
En 2020, selon l’Insee, 36,4 % des exploitations en France complétaient leur activité de production par une ou plusieurs activités de diversification, une manière de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. C’est le cas de Christophe Osmont, agriculteur à Coutances. À côté de l’élevage de vaches normandes et de porcs, le domaine de la Guérie compte un laboratoire de transformation, mais aussi une salle de réception avec 60 couchages. « C’est aussi ce qui nous intéressait avec ma femme dans le fait de reprendre cette ferme. Il n’y avait pas seulement une ferme, il y avait aussi l’activité de transformation, l’accueil du public et la réception », explique-t-il.
Avoir la ferme, cela ne nous suffirait pas pour vivre
Aujourd’hui, la partie réception est la partie la plus rentable de la ferme. « Malheureusement, c’est l’activité la plus rentable, car je préférerais que les éleveurs puissent être rémunérés en fonction de leur travail. Mais avoir juste la ferme, cela ne nous suffirait pas pour vivre. » Pour autant, pas question d’abandonner la partie élevage. « Pour nous, c’est un tout, on est fiers d’élever des animaux et de produire des bons produits, c’est ce qui donne du sens à notre vie. Ce sont des activités qui sont vraiment complémentaires. »
L’activité de transformation, cela a aussi été déterminant pour Stéphanie Bouteiller. En s’installant il y a 12 ans sur la ferme de son conjoint à Montcuit, elle a créé un laboratoire de fabrication de produits laitiers, motivée non pas tant par une recherche de rentabilité mais pour donner du sens à son travail. « J’avais envie d’aller au bout du produit », explique-t-elle. « Oui, la partie transformation nous permet d’être davantage rentables, mais c’est tellement énergivore que pour l’instant, on a du mal à avoir une vraie rémunération du travail par rapport au temps passé. Le fait d’avoir créé une nouvelle activité fait qu’il y a encore plus de choses à mettre en place au départ. » Et pour cause, en plus d’assurer la fabrication de produits avec le lait de la ferme, il faut trouver des débouchés et assurer la livraison.
L’aspect chronophage de la transformation ou de la vente directe, c’est ce qui a freiné Maxime Calais, agriculteur à Marchésieux. « Je cherche plutôt à faire le moins possible sur la ferme pour gagner du temps tout en gardant un système rémunérateur. » Pour cela, il s’est formé au système des prairies et a fait évoluer les races de son cheptel.
La diversification ne sera rentable que si vous vous y retrouvez personnellement.
Pour Isaure de Thézy, animatrice du CRDA Manche et conseillère en organisation du travail, la diversification n’est pas faite pour tous les agriculteurs. « La diversification ne sera rentable que si vous vous y retrouvez personnellement. Il n’y a pas que l’investissement financier, il y a aussi l’investissement humain. Si vous n’avez pas cette petite flamme qui vous pousse à continuer, à aller voir le consommateur, ce n’est pas là-dedans qu’il faut se lancer. »
En plus d’être producteur, l’agriculteur d’aujourd’hui doit développer des compétences de commercial, de communicant et de manager. En se lançant dans la transformation, Stéphanie Bouteiller doit faire preuve de polyvalence, passant de la traite, à la livraison, à la fabrication, tout en allant démarcher les cantines pour vendre ses produits. Elle a aussi dû apprendre à manager des personnes. « C’est une partie sur laquelle nous ne sommes pas formés dans les formations agricoles. Le management, c’est un mangeur de temps et moralement, c’est prenant aussi. »
Face à ces nouvelles compétences demandées aux agriculteurs, les chambres d’agriculture proposent des formations variées. « Comme ils n’ont pas le temps, les agriculteurs privilégient les formations plus techniques. Se former sur le management, ce n’est pas une priorité pour eux », regrette Isaure de Thézy.
La recherche des agriculteurs ne porte pas seulement sur le système le plus rentable, mais aussi sur un rythme de travail qui se rapproche davantage de celui des autres secteurs d’activité, avec des congés, des loisirs, du temps passé en famille. Depuis son installation, Maxime Calais ne cesse de travailler sur l’organisation de son travail. Il y a 3 ans, il a décidé de passer en mono-traite et réfléchit à organiser des vêlages groupés pour bénéficier de périodes sans traite durant l’année.
Prendre plus de temps pour eux, ça fait partie des nouvelles priorités des agriculteurs
L’organisation du travail est intrinsèquement liée au bien-être de l’éleveur. « De plus en plus d’agriculteurs souhaitent prendre plus de temps pour eux, ça fait partie des nouvelles priorités. Lors de nos formations sur l’organisation du travail, on ne demande plus aux éleveurs “comment vous travaillez“ mais “comment vous vous sentez en travaillant”. Quelqu’un peut travailler 70 h par semaine, mais être heureux, trouver du temps pour sa famille. Une autre personne peut travailler 35 heures, mais ne plus trouver de sens dans son travail, avoir des problèmes sur l’exploitation et ne plus s’en sortir financièrement. »
Cette recherche constante d’amélioration a aussi un impact sur le territoire. « Avoir des agriculteurs qui entreprennent, cela donne des campagnes vivantes, des paysages entretenus, des personnes qui connaissent le territoire et s’y engagent », ajoute Isaure de Thézy.
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