Chaque année en France, 30.000 personnes découvrent qu’elles sont atteintes d’une maladie génétique. En permettant de poser un diagnostic, la médecine génétique ouvre des champs d’espérance considérables. Jusqu’où peut-on lui faire confiance ? Comment ne pas tomber dans l'illusion du "mythe génétique" ?
"C’est génétique. Le monde d’aujourd’hui n’est rien sans la génétique. Le monde de demain sera rien sans la génétique…" Ce refrain du groupe burkinabé Campus ambiance dit bien l’importance qu'a pris la médecine génétique aujourd'hui. Et aussi tout ce que charrie la génétique de croyances et de représentations. Sommes-nous conditionnés par nos gènes ? La génome permet-il de tout savoir d'un individu, mieux que lui-même ?
Chaque année en France, 30.000 personnes découvrent qu’elles sont atteintes d’une maladie génétique. Au total, trois millions de personnes sont concernées dans notre pays. Une maladie génétique, "c’est une maladie où il y a une alternation d’un gène ou de plusieurs gènes, c’est-à-dire d’un chromosome", explique Professeur Arnold Munnich, pédiatre généticien, fondateur du département de génétique médicale à l’hôpital Necker, co-fondateur et directeur de l’institut des maladies génétiques Imagine, conseiller à l’Élysée de Nicolas Sarkozy de 2007 à 2012. L’altération d’un gène peut être "accidentelle" ou "héritée d’un parent".
La médecine génétique a permis de poser quantité de diagnostics. Pouvoir nommer une maladie, c’est un énorme soulagement pour des patients, observe le professeur Munnich. Parfois, c’est après des années d’errance diagnostique qu’ils découvrent enfin ce dont ils souffrent. Des années au cours desquelles ils ont pu entendre des remarques comme : C’est dans votre tête ! "Déjà, être capable de nommer le mal, c’est déjà un peu le soigner", estime le pédiatre généticien, pour qui "cette nomination a une fonction thérapeutique." Elle libère les familles et les parents du poids de la culpabilité. Et aussi "des représentations fantasmatiques". Dans de nombreux pays, y compris en France, il n’est pas rare de voir des malades et des familles convaincus d’un "relent magique" ou de "sorts qui seraient jetés", souligne le Père Bruno Saintôt, jésuite, directeur du département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres - Facultés jésuites de Paris.
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Il existe trois types de médecine génétique : la médecine génétique diagnostique, la médecine génétique corrective et la médecine génétique prédictive - "celle qui m’inquiète le plus", confie Arnold Munnich. Malgré les progrès de la science, on ne sait pas tout du génome humain. Or, il arrive que l’on prenne des décisions définitives "au bénéfice du doute". Ainsi, "aux États-Unis", raconte Arnold Munnich, "des mastectomies bilatérales délabrantes et définitives" sont effectuées "sur des femmes jeunes" pour prévenir un cancer du sein.
La médecine génétique ouvre donc des champs d’espérance considérables, avec tous les risques que cela comporte. Jusqu’où peut-on lui faire confiance ? "Il y a plein de choses inconnues, souligne Bruno Saintôt, la modestie, la noblesse scientifique, c’est de reconnaître ce que l’on sait ou ce que l’on ne sait pas." Faute de quoi, "nous provoquons chez les personnes des inquiétudes immenses en leur balançant des pronostics de maladie". Le généticien met en garde contre un "usage pervers de la génétique".
"Il n’y a pas de gène qui dicte à tout coup un destin, ça, ça n’existe pas !" prévient le professeur Munnich. D’ailleurs on est conditionnés par plein de choses, "nos origines sociales, notre milieu éducatif…" comme le souligne Bruno Saintôt. Reste que la médecine génétique charrie un lot de représentations dont la puissance est sans doute à la hauteur des espoirs qu’elle suscite.
On fait de la génétique "la nouvelle métaphore du destin", constate Bruno Saintôt qui nous programmerait à la façon d’un "programme informatique". Le mythe génétique a précisément été dénoncée par le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) en 1995 : "Le mythe du gène support du programme de la vie est tel que cela conduit à l’illusion qu’une connaissance parfaite du génome d’un individu donnerait accès à la réalité et au destin de la personne."
Dans son livre "Programmé mais libre – Les malentendus de la génétique" (éd. Plon, 2016), Arnold Munnich encourage à trouver un équilibre, la "balance entre l’encodage génétique et la liberté que nous laisse les gènes". Il a d’ailleurs tiré le titre de son livre du "Traité des pères" (ou "Pirqé Avot", un texte de la tradition juive), qui dit : "Tout est écrit et pourtant la liberté nous est donnée."
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