La Saint-Valentin arrive dans quelques jours : c'est l'occasion de se pencher sur la vie affective et intime de nos aînés. En France, si l'on sait que nous vivons de plus en plus longtemps, on sait moins comment vieillissent les couples. Les petits frères des pauvres ont publié une étude inédite à ce sujet. 94% des personnes âgées déclarent être toujours amoureuses, et les trois quarts des interrogés estiment qu’un corps qui vieillit peut rester désirable.
"Le tabou est davantage dans la société que chez les personnes âgées." Yann Lasnier est délégué général de l’association Les petits frères des Pauvres. Pour leur enquête publiée en septembre dernier, 1.500 Français de plus de 60 ans ont été interrogés. Bien que pudiques, les personnes ont parlé très librement. "On a eu l’impression de soulever un couvercle, et les chiffres montrent les enseignements à tirer."
Si l’allongement de la durée de vie rime avec l’allongement de la vie des couples, bien des tabous et des silences entourent cette question. La vie affective et sexuelle des plus âgés existe pourtant bel et bien, sous "une immense multitude de situations toutes aussi diverses". Michel Billé est sociologue et auteur de "La tyrannie du bien vieillir - Vieillir et rester jeune" (éd. Eres). Pour lui, il faut aborder cette diversité avec une "immense délicatesse". Il est parfois compliqué de la comprendre, cette délicatesse, quand il s’agit de la vie affective de nos parents. L’entourage des personnes âgées préfère fermer les yeux et ne pas aborder la question. Pour Paulo Rodrigues, théologien et spécialisé dans les questions éthiques de la fin de vie, la fragilité physique et psychique qui accompagnent la vieillesse véhiculent l’idée de la fin de la sexualité.
"Vieillir, c’est apprendre à courir lentement", souligne Yann Lasnier. Par cette métaphore, il entend qu'il faut s'approprier son corps et celui de son partenaire. C’est une leçon d’humilité : "vivre c’est forcément vieillir, donc remanier son rapport au monde et aux autres". D'où l'importance de faire de la prévention et d’éduquer autour de ces questions pour en parler correctement, dans le respect et la mesure.
"Un monde s’effondre." Perdre le partenaire d’une vie, pour tous les veufs interrogés, c’est perdre un monde. Yann Lasnier se dit frappé par la persistance du désir d’être amoureux, sans pour autant que les personnes ne s’autorisent à le verbaliser. Pourtant, 85% des personnes interrogées indiquent ne pas vouloir se remettre en couple : la résilience est propre à chacun. Une fois veuf, on subit parfois cette injonction à "refaire sa vie", comme on entend dire. Cette expression, Yann Lasnier la déplore : "il n’existe pas de bouton reset".
Pour les veufs, au lendemain du deuil, il s’agit de "remanier tous les liens affectifs", souligne Michel Billé. C’est souvent la solitude qui prime quand on perd son conjoint. Et à Paulo Rodrigues de rappeler que l’humanisation d’une personne passe par des échanges. Le deuil, en somme, c’est un travail propre à chacun qui peut durer très longtemps, commençant parfois avant la mort du partenaire. Le "deuil blanc" est un "renoncement qui précède la mort". Le terme fait référence à la perte de support de la relation ou des échanges à l'intérieur du couple.
Dans l’imaginaire collectif, deux personnes âgées ne sont plus un couple, mais des grands-parents. La société entretient une vision caricaturale de l’intimité des aînés. Avec les années, l'intimité du corps est exposée au regard d’autrui, notamment par les soins. Elle s'accompagne donc d’une dévalorisation du corps désirable. Pourtant, l'étude montre que 91% des personnes âgées vivant en couple ressentent du désir pour leur conjoint. Pour composer avec des corps vieillissants, il faut faire preuve d'inventivité, d'humilité et d'honnêteté. La tendresse se réinvente au cœur de ces relations amoureuses. Se tenir la main, se faire des caresses ou avoir des petites attentions sont autant de pratiques cruciales.
Dans les établissements d'accueil des personnes âgées, aussi, rien n’est propice aux relations à deux. Les chambres sont conçues pour des personnes seules, et le modèle économique est pensé d'une manière individuelle. Les soignants ou les familles peinent à accompagner les couples qui se créent.
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