Saint-Julien-en-Genevois
Face au changement climatique, à la dégradation des ressources naturelles et à certains conflits, la souveraineté alimentaire est devenue un enjeu stratégique et politique incontestable pour de nombreux pays dans le monde et la France ne fait pas exception. Qu'est-ce qu'on entend vraiment par ce concept et quels en sont les enjeux ? Une émission Je pense donc j’agis présentée par Melchior Gormand.
Durant le XXe siècle, avec l’instauration du nouvel ordre mondial, la reconstruction du vieux continent et l’industrialisation du tiers monde, les premières questions alimentaires étaient sur toutes les lèvres. Dans un premier temps, le néolibéralisme appelait à un laisser-faire du marché qui réussirait à s’autoréguler et satisfaire tout le monde. Cependant, les premiers échecs de ce système se sont rapidement fait sentir.
Dès lors, les grandes puissances ont commencé à chercher de nouveaux concepts pour assurer que leur population soit convenablement nourrie en accord avec le nouvel ordre mondial. Plusieurs paradigmes ont émergé au cours de la seconde moitié du XXe siècle mais c’est en 1996 que l’on commença véritablement à parler de la souveraineté alimentaire.
D’après le Forum sur la souveraineté alimentaire de Nyeleni, la souveraineté alimentaire serait "le droit des peuples à disposer d’une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement saines et durables, et leur droit de définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles".
C’est une approche qui reconnaît les droits des paysans et des populations.
Pour Lorine Azoulai, ingénieure agronome, spécialiste des systèmes alimentaires durables et chargée de plaidoyer Souveraineté Alimentaire au CCFD-Terre Solidaire, la notion de souveraineté alimentaire est aussi une question de liberté. "Dans cette notion, je choisis et je participe à ma propre alimentation, par la production ou la consommation. C’est une approche qui reconnaît les droits des paysans et des populations". Aujourd’hui, ce concept représente un objectif central pour toutes les grandes puissances, avec ce que cela implique à l’échelle nationale.
La France dispose de nombreux espaces agricoles et, grâce à ses départements d’outre-mer, des terres arables possédant des climats variés permettant la culture d’une grande variété de denrées alimentaires. Ainsi, la situation de sa souveraineté alimentaire tend à être plutôt positive, même si l’on note une certaine dégradation depuis plusieurs années. Entre 2010 et 2020, la France est passée de 514 964 productions agricoles à 416 054.
Si un incident climatique ou politique vient à éclater, le coût des denrées agricoles se voit incontrôlable.
Les agriculteurs tendent à dénoncer une concurrence déloyale en provenance d’autres pays ne respectant pas les normes du marché français. Stéphane Linou, expert associé au laboratoire Sécurité Défense du CNAM, considère cependant que la véritable inquiétude devrait venir de la dépendance des agriculteurs aux importations étrangères : "Quand on se penche sur la dépendance de la France aux engrais, à la mécanisation, on réalise que tout ce dont nous disposons c’est une illusion de sécurité alimentaire qui devient pire à mesure que nous zoomons sur les régions".
Pierre Duclos, président d’Agri Trade Consulting, analyste et spécialiste du marché international des céréales, ajoute qu’autant dépendre d’imports n’est pas une stratégie viable en cas d'imprévus internationaux : "Les marchés financiers jouent un important rôle dans la fixation des prix, les rendant très volatiles. Si un incident climatique ou politique vient à éclater, le coût des denrées agricoles se voit incontrôlable". Malgré tout, la situation peut encore être amenée à changer dans les années à venir.
Les Français disposent de nombreux leviers pour amener un changement dans le paysage agricole. François, auditeur fidèle de l'émission Je pense donc j'agis, affirme qu’il faudrait réduire la consommation de viande et davantage se fier aux denrées végétales. "J’ai quatre champs autour de moi. Si on remplaçait les céréales destinées aux animaux par des lentilles, on pourrait nourrir tout le monde sur 20 km".
Mais pour Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde, il ne suffit pas juste de produire de quoi nourrir la population avec le strict nécessaire. "Nous avons besoin d’un système agricole qui ne produit pas juste ce que l’on consomme, il doit aussi produire de quoi être viable économiquement avec ce que ça implique en termes de structures et de compromis”, souligne-t-il. Il est communément admis que, pour qu’un système alimentaire évolue, trois secteurs doivent évoluer : les modes de production des systèmes agricoles, leur réglementation ainsi que les modes de consommation.
Il faut sortir du paradigme du consommateur qui vote avec son portefeuille.
Vient ensuite la question du rapport qualité prix auquel les Français sont régulièrement confrontés. Pour Lorine Azoulai, cette responsabilisation à part égale n’est pas une stratégie efficace et peut même se révéler des plus injustes. "Il faut sortir du paradigme du consommateur qui vote avec son portefeuille. En France, il existe une part non négligeable de citoyens qui dépendent pleinement de l’aide alimentaire. Il leur est littéralement impossible de voter avec leur portefeuille", explique-t-elle. Comme le font constater les récents évènements dans la sphère du monde de l’agriculture française, deux volontés divergentes s’opposent entre les modes de production et la réglementation de ceux-ci. Peut-être que de ceci en résultera une grande altération de la souveraineté alimentaire en France, peu importe la direction prise.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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