Après le cinéma, le théâtre, le mouvement #MeToo gagne la politique. À quelques mois de la présidentielle, une tribune dénonce le climat toxique qui règne pour les femmes dans le monde politique. À l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, on en parle avec Élisabeth Morin-Chartier, ancienne députée européenne et présidente de l’Union européenne des femmes, la politologue Marie-Cécile Naves et Gabrielle Siry-Houari, maire adjointe à la Mairie de Paris et porte-parole du PS.
"En avril 2022, nous choisirons le ou la présidente de la République. Trois candidats ou potentiellement candidats à l’Elysée sont déjà cités dans de nombreux témoignages d’agressions sexuelles." À quelques mois de l'élection présidentielle, une tribune a été publiée dans le journal Le Monde, le 15 novembre dernier, sous le titre "Il faut « écarter les auteurs de violences sexuelles et sexistes » de la vie politique". Signée par 285 femmes, elle a été amplement relayée dans les médias. Si elle ne donne pas de noms sur les trois candidats visés, elle suscite de nombreux commentaires et témoignages. Parmi les signataires, Gabrielle Siry-Houari, pour qui, certes, "il faut respecter la présomption d’innocence", mais "on ne peut pas ignorer des signalements répétés qui auraient eu lieu en interne"...
"J'ai travaillé à Paris en tant secrétaire parlementaire des collaborateurs de ministres et chargée des anciens parlementaires. J'avais 22 ans pour mon premier poste, il a eu des gestes déplacés au bout de plusieurs mois, notamment lors d'un voyage à l'étranger. Je regrette de ne pas l'avoir dénoncé, c'était dans les années 70.. et à l'époque on me disait que c'était comme ça dans ce monde. J'ai ensuite démissionné."
Une auditrice anonyme
Dans la sphère politique, il y a les cas graves d'agressions sexuelles mais aussi toutes ces remarques et comportements sexistes. Et "il y en a beaucoup, beaucoup !", insiste Marie-Cécile Naves, auteure de "La démocratie féministe - Réinventer le pouvoir" (éd. Calmann-Lévy, 2020). Cet homme qui dit "bonjour messieurs" à une assemblée d’hommes et de femmes ; ce sont toutes les fois où l'on vous coupe la parole en réunion, ou qu'on vous humilie ; c'est la question désobligeante d'un ministre "c’est à toi ça ?" au sujet d’une conseillère... Autant de façons de signifier un mépris, et d’infantiliser. Pour Gabrielle Siry-Houari "ces comportements courants" peuvent paraître "anodins", ils ont "toujours le même effet, c’est de la délégitimation". Après ça, "il est beaucoup plus difficile d’avoir plus parole crédible et forte".
Ce qui frappe dans le milieu politique c'est la "permissivité" à l'égard du sexisme, qui est "proportionnelle à la position de pouvoir occupée", note Gabrielle Siry-Houari, auteure de "La République des Hommes" (éd. Bouquin). Si les hautes sphères de pouvoir sont tenues de montrer l’exemple, il y a lieu de s’inquiéter quant au sort réservé aux femmes dans le reste de la société. Aux États-Unis, on a pu constater combien, le "masculinisme et le virilisme" incarnés par Donald Trump ont pu définir "un agenda politique" et essayer "d’imposer des normes de comportement", selon Marie-Cécile Naves. Mais la politologue spécialiste de la société américaine l'assure, en France, "le sujet est loin d’être clos".
"Je voudrais raconter comment, lors d'une interview avec un sénateur dans un bureau avec un autre collègue journaliste, le sénateur s'est permis de poser la main sur ma cuisse, de la caresser avant de répondre à une de mes questions de manière donc sensuelle et paternaliste, en même temps j'étais tellement pétrifiée sur le moment que j'ai juste eu le réflexe de reculer, mais j'ai rien osé dire et le collègue non plus n'a rien osé dire mais je pense que c'est parce qu'on voit pas du tout parfois comment on peut agir dans cette situation, et après bah c'est trop tard pour dénoncer c'est parole contre parole."
Une auditrice anonyme
En politique "les habitudes patriarcales sont plus ancrées qu’ailleurs parce que par définition c’est une sphère de pouvoir et les femmes y sont considérées par principe comme étant illégitimes", selon Marie-Cécile Naves. Un "entre soi masculin" fait de "solidarités, complaisances, complicités, cooptations" - la sociologue Françoise Gaspard parle de "fratriarcat". Et dans ces réseaux masculins, ces boys clubs, comme les appelle Gabrielle Siry-Houari des décisions peuvent être prises "en marge des institutions dans lesquelles les décisions officielles se prennent".
"Le sexisme en politique c’est bien un moyen de domination, et non un reliquat de comportements, dans un univers très concurrentiel où il s’agit de conserver le pouvoir", déclare Gabrielle Siry-Houari. C’est un moyen dont on use encore aujourd’hui et non un travers culturel hérité du passé. D'ailleurs, dans l’histoire, "la progression de la place des femmes et le respect des femmes dans la société est très aléatoire", marquée par des moments de reculs et des moments de progression", rappelle Élisabeth Morin-Chartier, historienne de formation. Pour Marie-Cécile Naves, "la non mixité est un problème de manière générale".
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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