Spiritualité ou religion ? Il est fréquent aujourd’hui d’opposer spiritualité et religion. Dans une société marquée par les actes terroristes commis au nom de Dieu ou la crise des abus sexuels dans l'Église catholique, plus d'un tournent le dos aux institutions religieuses. Mais peut-on se passer de religion ? N'est-elle pas nécessaire pour éviter les dérives, les sectarismes et les flambées irrationnelles ? Réponses du jésuite Paul Valadier.
Assassinats, violence, actes terroristes commis au nom de Dieu, mais aussi abus sexuels dans l’Église… Autant de faits qui poussent nos contemporains à avoir un regard très négatif sur les religions. Pour le philosophe et prêtre jésuite Paul Valadier, si les religions "sont capables du pire", "elles ne sont pas que ça". Son "Éloge de la religion" (éd. Salvator, 2002), n’est pas, il le précise, un éloge du catholicisme mais bien "de la religion en général".
Or, "il est très difficile de faire l’éloge de la religion", admet le jésuite. Et si l’on était d’autant plus fâché avec l’institution que l’on peut s’acharner sans difficulté sur elle ? "D’autant plus que l’institution en général ne répond pas : vous pouvez tirer à boulets rouges sur l’institution, il est rare que quelqu’un prenne sa défense !" Ancien rédacteur en chef de la revue Études et professeur émérite au Centre Sèvres, Paul Valadier souligne que "l’on n’est plus à l’époque de Léon Bloy ou de Bernanos ou de Mauriac, qui avaient le courage tout de même de croiser le fer !"
Il est fréquent aujourd’hui d’opposer spiritualité et religion, on privilégie la première pour critiquer la seconde. Cette forte attractivité du spirituel a un caractère flou et confus, comme Paul Valadier l’analyse dans son livre. Une spiritualité sans religion est-elle possible ? Qu’est-ce que la spiritualité ? "Si on parle de la vie de l’esprit, pensée, imagination, tout le monde a vie spirituelle", admet le jésuite. "Il ne faut pas oublier qu’au moins dans le catholicisme il y a des écoles de spiritualité : le risque de se donner à soi-même sa spiritualité c’est de tomber dans le sentimentalisme, dans l’émotion… La vie spirituelle est une vie difficile, c’est une aventure, c’est une aventure qu’on ne mène pas seul."
Ainsi, parce que l’on ne peut chercher "Dieu ou l’absolu" seul, vie spirituelle et religion sont indissociables. "Dès qu’on rentre dans la vie intérieure, on peut être l’objet d’illusions. Et quand on lit Thérèse d’Avila, on s’aperçoit que cette sainte femme passe son temps à s’interroger : est-ce que je ne suis pas dans l’illusion ?" On a besoin des textes, d’une communauté de croyants, de témoins… Dans la religion catholique, "on a la chance de croire à la communion des saints : c’est-à-dire qu’on n’est jamais seuls". Là où, on a tendance à croire, dans une société "individualiste" que l’on "peut régner tout seul, qu’on a des droits à soi seul"…
Plus que la critique actuelle du religieux, ce qui "inquiète" Paul Valadier, c’est "l’indifférence". "Dire : ça ne m’intéresse pas, je n’ai rien à voir avec tout ça, je m’occupe je fais du tennis, du vélo, de la peinture, mais la religion ne l’intéresse pas..." Une indifférence qui est le signe que nous sommes "dans une société molle", déplore le jésuite. Une société largement ignorante du fait religieux. "La jeunesse est dans une ignorance tout à fait fatale par rapport aux religions en général et celle qui a quand même marqué notre pays, le catholicisme."
Ce qui ne l’empêche pas, cette société, de se tourner vers le sacré. Ou plutôt, de "sacraliser" tantôt "des joueurs de foot, des acteurs de cinéma", ou "des hommes politiques éventuellement". De toute façon, "on n’échappera pas au sacré", assure Paul Valadier. "Le problème pour le croyant c’est précisément de s’apercevoir que malgré les apparences de l’indifférence religieuse, il y a toujours un sacré qui est là et qu’il faut savoir le traiter et non pas le mépriser bien entendu."
Qui ne connaît pas la fameuse formule de Marcel Gauchet, pour qui le christianisme est "la religion de la sortie de la religion" ? "Je crois qu’en effet le christianisme, tout en étant une religion, est aussi la sortie de la religion, si on entend par religion une attitude qui couvre la totalité de la vie sociale." Ainsi, il y a dans le judaïsme ou l’islam, "des règles pour toutes les choses de la vie commune, du mariage, à l’enterrement, à la vie politique, etc.", analyse Paul Valadier. À l’inverse, "le christianisme ne donne pas de règles à appliquer à la société", précise le jésuite. Mais il existe toutefois dans le christianisme des sacrements, des rites et des textes fondateurs...
Ce qui menace en réalité l’institution c’est la fermeture, le repli, croire que l’on forme un entre-soi d’élus, de saints, de prédestinés. "Toute institution a la tendance, à s’affaisser… à se raidir à ne plus avoir de souffle. Et évidemment, l’Église, on sait bien, n’échappe pas à ça." Le jésuite cite l’initiateur de la Réforme au XVIe siècle, Martin Luther, pour qui l’Église est semper reformanda, c'est-à-dire "toujours à réformer". Ainsi quand Paul Valadier fait un "Éloge de la religion" c’est d'abord pour reconnaître que toute religion est obligée de poser un regard critique sur elle-même. "Le premier critique de la religion ça a quand même été Jésus !"
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