Normandie
Face au changement climatique et à l’apparition de sécheresses, des expérimentations sont menées dans plusieurs fermes laitières de la Manche pour mieux connaître leur consommation et trouver des pistes d’économies.
Contrairement aux apparences, la Manche n’est pas à l’abri du manque d’eau. Après plusieurs périodes de sécheresse, notamment en 2022, les ressources sont surveillées de près par les acteurs du territoire. La réflexion sur la gestion de l’eau a commencé en 2018 dans le département, sous l’impulsion du préfet de l’époque, Jean-Marc Sabathé. Un plan de gestion de la ressource en eau a vu le jour, avec comme objectif de travailler à l’acquisition de connaissances. « On s’est rendu compte qu’on avait peu de données, aussi bien sur la ressource que sur les besoins », explique Hélène Lallemand, conseillère eau à la chambre d’agriculture de Normandie et membre de ce groupe de travail.
Il faut dire que les Manchois ont sous leurs pieds des réservoirs d’eau peu profonds. « Dans la Manche, on a beaucoup d’eau superficielle donc on peut se retrouver très vite sans eau. C’est un socle granitique, avec très peu de profondeur de sol, notamment dans le Nord-Cotentin et le Sud-Manche où il y a de petites nappes phréatiques. Seul le secteur des marais dispose d’une profondeur de sol plus importante », rappelle Hélène Lallemand. Lors d’une sécheresse, tous les secteurs ne sont donc pas impactés de la même manière.
À côté de la ressource disponible, il s’agit de quantifier les différents usages. En 2016, 34 millions de m³ d’eau ont été prélevés sur le réseau d’eau potable, 5, 5 millions pour l’industrie (hormis le secteur de l’énergie), notamment pour l’industrie agroalimentaire, 5 millions pour l’irrigation des cultures légumières, 14 millions pour la production laitière et 6 millions pour les autres productions animales. Mais il ne s’agit que d’estimations, car seuls les prélèvements sur le réseau d’eau potable peuvent être comptabilisés.
En effet, si certains agriculteurs sont alimentés par le réseau d’eau potable, la majorité d’entre eux utilise leur propre forage. Selon une enquête réalisée par la chambre d’agriculture auprès d’une cinquantaine d’agriculteurs de la Manche, en 2021, 90 % de l’eau utilisée provient de forages, qui ne sont pas tous équipés d'un compteur.
Aujourd’hui, les nouveaux forages, que ce soit pour des particuliers ou pour des professionnels, doivent être déclarés et avoir un compteur pour connaître la quantité prélevée. « La connaissance à l’échelle de l’exploitation n’est pas la plus importante. Ce qu’on doit savoir, c’est quelle quantité on a besoin de prélever sur telle masse d’eau. Si une nappe s’assèche, il faut connaître les besoins du secteur pour trouver une autre manière d’acheminer l’eau pour l’abreuvement des bovins et l’irrigation », explique Olivier Cattiaux, chef du service environnement à la DDTM de la Manche.
Cette méconnaissance à l’échelle du département se retrouve aussi à l’échelle des exploitations. Pour Catherine Brunel, animatrice du CRDA Manche, les agriculteurs n’ont pas une bonne connaissance de leur réseau de distribution d’eau : « Ils reprennent des fermes qui ne sont pas forcément familiales donc ils n’ont pas de plan du réseau d’eau ». Un avis partagé par Rodolphe Cauchard, agriculteur près de Coutances : « De génération en génération, on rajoute des tuyaux, et c’est vrai qu’on ne fait pas de plan, peut-être que maintenant, on devrait en faire ».
Autre volet, optimiser la gestion de l’eau. Pour connaître la consommation d’eau poste par poste à l’échelle d’une exploitation, des compteurs d’eau ont été installés il y a quelques mois dans la ferme expérimentale de la Blanche Maison à Pont-Hébert, un projet financé par l’agence de l’eau Seine-Normandie. Après quelques mois, Marie Plessis, la directrice de la ferme expérimentale, peut dresser un premier état des lieux. Sur 14 m³ utilisés chaque jour pour 90 vaches, la moitié sert à l’abreuvement des bovins. Un chiffre qui ne l’a pas surprise : « C’est un chiffre encore à peaufiner, car nous n’avons pas fait une année complète avec plusieurs saisons, mais on se doutait que c’était notre consommation d’eau principale ». Des références techniques ont été établies par l’INRAE, donnant des estimations sur ce que boit une vache laitière en fonction des saisons et de son alimentation : entre 40 à 120 litres par jour. Selon l’Institut de l’élevage, 80 % de l’eau consommée dans un élevage laitier sert à l’abreuvement.
À la Blanche Maison, le deuxième poste de consommation d’eau, c’est le nettoyage des quais de la salle de traite, soit 4 m³ par jour. « C’est celui qui nous a le plus surpris. Mais c’est aussi le poste où on pense avoir le plus de moyens de réduire notre consommation », souligne Marie Plessis.
Pour économiser l’eau qui sert à nettoyer sa salle de traite, Rodolphe Cauchard utilise l’eau de récupération de son pré-refroidisseur. Comme son nom l’indique, le pré-refroidisseur refroidit le lait avant d’aller dans le tank, pour économiser l’électricité. L’eau réchauffée repart à l’abreuvement des animaux. « J’avais remarqué qu’une partie de cette eau n’était pas bue par les bêtes, on a donc installé un système qui permet de la récupérer pour nettoyer la salle de traite.» Grâce à ce système, Rodolphe économise 3 m³ par jour. L’investissement pour cette expérimentation a coûté 17 000 euros, financé par l’agence de l’eau. À la ferme de la Blanche Maison, un projet est également en réflexion pour récupérer l’eau des toitures, une eau qui devra être traitée en fonction de son usage. La qualité exigée n’est pas la même pour laver un tracteur ou pour abreuver les vaches.
Des systèmes coûteux, qui n’ont pas encore prouvé leur rentabilité. « Dans le groupe eau du CRDA, un agriculteur avait un projet de recyclage de pluie sur sa toiture. Il s’est avéré que les investissements étaient assez coûteux donc il a mis de côté ce projet-là pour le moment » , explique Catherine Brunel. « Il faudra faire une analyse économique, en prenant en compte l’investissement, le coût de traitement de l’eau et l’économie financière réalisée par rapport à un autre approvisionnement. Même si l’intérêt de la récupération n’est pas qu'économique, on ne peut pas faire sans regarder ce volet économique », admet Hélène Lallemand, conseillère eau à la chambre d’agriculture.
Les agriculteurs se préparent à ce que cette question de l’eau soit cruciale dans les années à venir. « Tout ce qu’on peut faire pour économiser de l’eau, il faut le faire. Il faut continuer les études », conclut Rodolphe Cauchard.
Chaque mois, une émission depuis une ferme de la Manche pour expliquer les enjeux de l’agriculture aujourd’hui et les solutions mises en place. Une émission réalisée en partenariat avec le CRDA de la Manche, Comité Régional de Développement Agricole.
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