LE POINT DE VUE DE MARIE-HELENE LAFAGE - La colère des agriculteurs gronde en France et en Europe. Marie-Hélène Lafage, consultante et enseignante en politiques de transition écologique, tente de mieux comprendre les causes de cette colère, notamment du point de vue de la transition écologique.
Cette colère a pris la semaine dernière un nouveau tournant avec des faits marquants. L’autoroute A64 a été bloquée près de Toulouse. Un bâtiment des services de la préfecture a été soufflé par une explosion à Carcassone, avec un tag laissé sur les lieux par le Comité d'Action Viticole. Des dégradations inacceptables, qui sont l’expression d’une colère sourde, qui repose sur un ensemble de causes. D’abord les agriculteurs et agricultrices ont subi de plein fouet l’inflation et la crise énergétique, qui ont pesé sur le budget des exploitations.
Les négociations en cours entre industriels et grande distribution se reportent aussi sur les prix agricoles
À cela s’ajoute une décision du gouvernement de mettre fin - partiellement – à la défiscalisation du gazole pour les exploitations agricoles en 2024, avec en parallèle des mesures attendues sur la réduction des pesticides. Les négociations en cours entre industriels et grande distribution se reportent aussi sur les prix agricoles. Il y a les politiques européennes récentes sur l’alimentation et la biodiversité qui inquiètent - autant que l’arrivée du géant agricole ukrainien dans l’Union. Et c’est sans compter, enfin, sur les impacts croissants du changement climatique.
Il ne faut pas oublier d’abord qu’on parle ici du modèle dominant. Les situations sont contrastées dans le monde agricole sur les questions écologiques. De manière globale, donc, on voit surtout que l’agriculture est prise en tenaille entre plusieurs injonctions contradictoires de notre société : produire pas cher tout en étant bon pour la santé et l’environnement ; répondre aux attentes du marché mondialisé et à celles de nos sociétés ; assurer la souveraineté alimentaire, la pérennité de ce qu’on a pu appeler la « Ferme France » alors que les exploitations ne trouvent souvent pas de repreneurs, dans un contexte massif de départs à la retraite ; et, aussi, proposer les mêmes produits dans un climat qui change.
Le monde agricole est d’abord victime de nos non-choix
C’est intenable. Le monde agricole est d’abord victime de nos non-choix : continuer à perfuser un modèle productiviste à bout de course d’une part, faire du sauve-qui peut environnemental pour la biodiversité et le climat d’autre part. L’argent public n’est pas consacré aujourd’hui à une réelle transition et adaptation, en accompagnant les agricultrices et agriculteurs dans ce sens.
D’abord on voit bien qu’aller vers un autre modèle agricole c’est aller vers un autre modèle de société, parce que ça touche à nos choix alimentaires, économiques, de partage de l’eau... C'est de l’écologie intégrale. À notre échelle, nous pouvons déjà recréer des liens avec les producteurs locaux, par exemple en créant ou en rejoignant une Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne : un réseau de distribution de paniers qui permet des prix abordables et une juste rémunération du producteur.
C’est accepter lorsqu’on le peut d’acheter plus cher des produits plus rémunérateurs pour le monde agricole. À nous aussi de nous saisir de ces sujets à l’occasion des élections européennes, en refusant ce qui nous conduit droit dans le mur comme les traités de libre échange, en soutenant une transition juste pour toutes et tous, sans dresser les populations les unes contre les autres. Car opposer agriculture et écologie ne rendra service à personne.
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