Les funérailles de Mgr Jacques Gaillot, décédé mercredi dernier, ont lieu hier après-midi. L’occasion pour vous de revenir sur la figure de l’évêque de Parténia, et sur ce qu’il représentait…
Je ne vais pas refaire ce matin sur votre antenne l’hommage qu’à parfaitement prononcé vendredi Benoist de Sinety. D’autant que, de "l’affaire" qui porte le nom de Jacques Gaillot, cette grande blessure de l’histoire récente du catholicisme en France, je n’ai que peu de souvenirs personnels – question de génération… Comme sur beaucoup d’événements brutaux ou douloureux, les positions sont trop souvent tranchées. Les idées préconçues précédaient l’évêque médiatique et iconoclaste : "trublion", "rebelle", "progressiste"… L’homme Jacques Gaillot, n’a-t-il pas fini enfermé dans la caricature d’une figure publique, "Mgr Gaillot", insaisissable victime d’une querelle idéologique qui le dépassait ?
On peut d’ailleurs se demander si son éviction en 1995 n’était pas inévitable. Quelle que soit l’institution, les électrons (trop) libres finissent souvent par être écartés. Récemment, on a vu d’autres personnalités d’Église être limogées, pour des motifs plus ou moins clairs, sans toujours susciter la même émotion chez les fidèles. Et puis on peut noter que, s’il était souvent qualifié de "contestataire", Mgr Gaillot était un contestataire… de l’intérieur. Il est resté, toute sa vie, un prêtre certes libre mais fidèle, qui n’a jamais choisi la voie de la désertion ou du règlement de comptes avec l’institution qui l’avait brutalement évincé.
Alors, bien sûr, il n’échappe pas aux critiques. Beaucoup lui ont reproché de négliger son diocèse, de faire trop souvent cavalier seul, de pécher par imprudence avec les médias qui le sollicitaient ou les propos qu’il tenait… Sans oublier cette grave faute quand il a accueilli en paroisse, en connaissance de cause, un prêtre pédocriminel. Mais peut-on rappeler tout cela sans le mettre en regard de son engagement constant en faveur de tous les exclus, des plus pauvres, des sans-papiers, des Palestiniens, des Roms, des homosexuels, des divorcés remariés ?
Jacques Gaillot témoignait d’un zèle évangélique aux marges, quitte à prendre le risque de se tromper. En langage d’aujourd’hui, on dirait qu’il allait "aux périphéries"… Comment ne pas penser à ces mots du pape, dans Evangelii gaudium : "Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités." ? Au fond, Jacques Gaillot renvoyait l’Église à cet éternel dilemme : comment annoncer une foi plus inclusive sans pour autant renoncer à ce qu’elle soit un signe de contradiction ?
Que va devenir après lui le diocèse de Parténia, cet ancien diocèse de l’actuelle Algérie, où il n’y a aucune église et pas de fidèles ? C’est sans doute la question la plus intéressante. De ce diocèse fictif, pensé par Rome comme une sanction, Jacques Gaillot a su faire un symbole de liberté, une lettre de mission implicite. Un diocèse sans églises : comment mieux manifester une Église qui sort pour aller directement rejoindre les gens ? Sans paroisses, mais pas sans ouailles, cette sorte de "tiers-diocèse" devient de fait un lieu d’accueil pour celles et ceux qui ne trouvent pas leur place dans le tissu ecclésial ordinaire.
Parténia, c’est l’utopie contre le territoire, la pastorale au-devant de la doctrine, l’humain par-delà l’institution, l’exception face à la règle, l’Église qui, parce qu’elle n’est nulle part, sait se rendre partout. En fait, le siège épiscopal de Parténia, désormais vacant, est le symbole d’une autre façon de rejoindre le monde contemporain. C’est pourquoi on peut attendre un signe fort de la part du pape François : qu’il donne sans tarder un successeur à Jacques Gaillot.
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