En Chine comme en Iran, les mouvements populaires de ces dernières semaines sont sans doute fragiles, mais ils manifestent un désir de liberté qui résonne aussi comme un appel.
Depuis deux mois, la contestation ne faiblit pas en Iran ; la semaine dernière, on a vu des manifestations inédites en Chine… et nous, nous regardons cela en nous demandant si un basculement est vraiment possible. Le courage des peuples, capables de jeter leur vie dans ce défi fou qu’est le désir de liberté, nous subjugue toujours, et à juste titre. Simples feux follets ou premières lueurs de l’aube ? Et si l’incendie "prenait", et si les Iraniens, les Chinois en quête d’un autre avenir faisaient s’effriter ces pouvoirs autoritaires centrés sur leur propre préservation ? Car rien n’est plus destructeur pour une société que l’effondrement de son mythe fondateur. Qu’un peuple cesse de croire à l’onction de ses dirigeants, qu’il n’adhère plus au pacte conclu avec eux, et tout devient possible.
En Iran, la République islamique est portée par une caste vieillissante, déconnectée des aspirations populaires, alourdie de multiples rancœurs et, au fond, apparaît incapable d’offrir le moindre horizon à une jeunesse qui aspire à la liberté. Le régime peut bien brandir la peur et répandre la mort pour tenter d’étouffer le souffle de vie qui parcourt le pays depuis plusieurs semaines, on voit que même cette menace ne prend plus.
Et en Chine ? En Chine, nous n’en sommes pas encore là. Mais le ressentiment grandissant contre la politique de "zéro Covid" et la dictature vient battre en brèche l’accord tacite entre le Parti communiste et la population. Pacte qu’on pourrait résumer ainsi : tant que le régime offre fierté nationale, possibilité de s’élever dans la classe moyenne, liberté de consommer et relative sécurité, les citoyens acceptent de soumettre leurs droits et de taire leurs opinions politiques. Sauf que la Covid-19 est venu saper les fondations mêmes de cette transaction sociale, provoquant un ébranlement profond dont les répercussions ne font sans doute que commencer.
Soyons honnêtes : c’est incertain dans le premier cas, improbable dans le second. Il suffit de repenser aux espoirs récents des occidentaux de voir le peuple russe se soulever contre la guerre inique en Ukraine et provoquer la chute de Vladimir Poutine… pour mesurer à quel point notre vision du monde passe parfois par le filtre de lunettes déformantes. Car notre imaginaire est pétri d’utopie révolutionnaire et d’un idéal de résistance. Et les aspirations humaines n’ont – hélas ! – pas toujours l’effet d’entraînement qu’on leur prête.
On aimerait "y croire". Croire à ce vent qui se lèverait pour emporter les autocraties, voir déferler sur le monde une vague de possibles tout neufs… Cet espoir, il n’est pas vain, mais il est si fragile : pour quelques révolutions fructueuses, combien de révoltes réprimées dans le sang, combien de printemps abîmés dans le gel de nouveaux hivers démocratiques ? L’histoire est souvent complexe, et parfois simplement tragique.
Dans notre "envie d’y croire", sans doute faudrait-il d’ailleurs entendre un appel à soutenir plus fortement ce désir manifesté par l’âme des peuples. Un désir qui a des accents universels. Au risque d’être déçus, peut-être nous devrions-nous juste prendre au sérieux la légèreté de ces mots du regretté Christian Bobin, témoin vigilant du temps présent et de nos mouvements intérieurs, qui vient de nous quitter : "Rien n’est plus contagieux que la liberté."
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