Goutte à goutte. Il est des gouttes à gouttes qui permettent de passer des caps dangereux et de recouvrer la santé. Mais il en est qui tuent. C’est bien de ceux-là nous nous parlions, lundi dernier, lors d’une journée organisée par la Conférence des religieuses et religieux de France (Corref), sur les "abus du quotidien".
"Abus du quotidien", autrement dit mine de rien, comme si de rien n’était… des abus à pas de loup. On ne peut les poursuivre pénalement. Pourtant ils humilient, enfoncent dans la mésestime de soi, dans la culpabilité, l’angoisse. Plus glaçant encore, ils préparent possiblement les emprises, les abus spirituels, les agressions sexuelles.
Les abus du quotidien dans les communautés religieuses – et sans doute bien ailleurs, ce sont ces paroles, ces façons de faire qui franchissent les seuils de l’intime, là où elles devraient s’arrêter sur le seuil : jugements péremptoires, indiscrétions, questions intrusives… Ou encore quand nous embarquons l’autre dans un mensonge, voulons le capter par le partage d’un secret, ou lui signifions qu’il est notre préféré… Autant de façons de garder la main, de le mettre sous notre main.
De plus dans l’Église, dans la vie religieuse, tout cela se pare des travestissements spirituels : "Il faut bien souffrir… c’est le chemin de l’obéissance… dans la vie on ne fait pas ce que l’on veut… notre Seigneur a souffert lui le premier…" Et bien d’autres. Autant de propos distillés ou instillés qui enfoncent encore un peu et font de la victime des abus du quotidien une mauvaise religieuse ou une piètre chrétienne.
Durant cette journée ouverte aux responsables d’Instituts religieux et de communautés, Cathy Leblanc, philosophe et spécialiste de l’univers concentrationnaire, et Isabelle Le Bourgeois, psychanalyste, ancien aumônier de prison et religieuse auxiliatrice, ont mis des mots sur ces abus ordinaires. Sur ce qui les rend possible, ces tendons d’Achille à chacun, par lequel l’autre peut nous saisir. Ou nous qui pouvons aussi devenir abuseurs. Elles ont rappelé combien est essentiel de se connaître un peu, pour mieux se garder et protéger les autres.
Mais aussi de prendre la parole comme un sujet de droit, de liberté, de singularité. Exercer son jugement n’est pas facultatif et ne peut se remettre à d’autres. C’est un droit autant qu’une obligation morale inaliénable. Pouvoir enfin écouter ses émotions qui racontent notre force et notre fragilité intimes. Bref une belle journée qui permit nombre de questions graves autant que de rires nécessaires.
Au bout du compte, dans nos communautés religieuses, croyantes, humaines, importe avant tout de ne faire mourir personne en son intégrité psychique, relationnelle, physique, affective, spirituelle et d’au contraire soutenir le désir de vivre. Tout un programme à méditer au quotidien…
Véronique Margron op.
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