Chouette ! C'est le Vendredi noir aujourd'hui ! C'est magnifique, cet entrain avec lequel nous fabriquons du sensationnel à partir... de rien ! En ce jour noir, donc, vous pourrez tous vous acheter l'aspirateur ou le sac de vos rêves - enfin de vos rêves : des rêves qu'on vous fabrique...
Parce que, avouez-le, cet aspirateur, ce sac, il y a quelques jours encore, avant de recevoir le mail dans lequel la promotion vous est annoncée, vous n’y pensiez même pas. Et puis, un aspirateur, vous en avez sans doute un, et un sac, pourquoi faire ? enfin bon... êtes-vous si en manque que cela ?
Le même jour, on nous redit que les ouvriers de l’usine de Zhengzhou en Chine, qui fabrique les iPhone, sont traités comme des chiens, confinés dans leur usine dans des conditions inhumaines. Battus, séquestrés, réprimés avec une violence rare parce qu’ils réclament un peu plus de liberté. Précisons que le site emploie plus de 200.000 personnes. Oui, vous avez bien entendu, 200.000.
Cette usine appelée “iPhone City” ressemble à de l’élevage de poulets en batterie dans nos campagnes. Le problème, c'est qu’il faut produire pour le Black Friday et pour Noël : on avait promis aux employés une prime de 400 euros s’ils acceptaient de travailler au moins 30 jours de suite dans l’usine. Au bout du compte la prime aurait été ramenée à 4 euros, ce qui fait une sacrée différence et peut provoquer quelques émotions pour les ouvriers concernés. Si vous ajoutez à cela que la nourriture n’est plus assurée sur place et que les salariés positifs au coronavirus sont obligés de travailler, à côté de leurs collègues négatifs, on approche du sublime dans l’ignominie. Le paradoxe de l’affaire, c'est que, dans ce formidable pays qu’est la République populaire de Chine, les révélations sur tout ceci nous parviennent grâce aux films tournés par les iPhone des salariés eux-mêmes ! Comme quoi, on est toujours trahi par les siens…
Au même moment, on ne sait plus très bien quoi dire au sujet d’une Coupe du monde de football dont tout le monde a un peu honte, mais que beaucoup regardent. Plus de 12 millions mercredi soir pour France-Australie. Un record nous annonce-t-on : est-ce pour rassurer les annonceurs ou par soulagement devant un boycott annoncé ? Il reste un lieu sacré que les scandales n’ont pas encore profanés dans notre société, c’est le foot.
Manifestement les joueurs sont tous des types d’une morale et d’un comportement remarquables : aucune affaire sexuelle, sinon traitées comme sans lien avec un milieu qui continue, de moins en moins, de faire illusion. Aucune corruption qui viendrait entacher la réputation de nos icônes nationales et mondiales… Nul ne s’y est enrichi, nul n’y a perdu son âme. L’attribution de l’organisation de la Coupe au Qatar, d’où est partie une part importante du financement de ceux qui sont venus fusiller dans nos rues, un certain mois de novembre, de paisibles compatriotes attablés, et en assassiner d’autres au Bataclan, semble décidément être un choix d’abord sportif. Le paradoxe est que ce soir-là tout commença par un attentat durant un match au stade de France... et que c’est par le foot que les mêmes prétendent trouver une respectabilité que les milliards de dollars ne pourront jamais, seuls, leur conférer vraiment.
On souhaitera bon courage aux couples non mariés qui souhaitent s’y rendre par amour du ballon rond et à ceux qui sortiront dans les rues après avoir fêté un peu trop la victoire de leur équipe. En cas de problème avec les autorités de ce pays charmant, ils ne risquent pas d’être secourus par nos États qui ont décidé une nouvelle fois de s’asseoir sur un catéchisme qu’ils assènent par ailleurs régulièrement à tout un chacun…
Consommation de masse, spectacle de masse : l’affaire semble être entendue, il faut nous abrutir massivement. Mais la petite lumière de la Vérité ne se laisse pas étouffer aussi grossièrement. Déjà les rumeurs bruissent et certains lèvent le voile. Il n’est pas certain que tout cela puisse durer des années encore. Pour l’heure, nous pouvons, nous aussi, agir en ne confondant pas les scintillements du vendredi noir avec la lumière qui se lève au matin du dimanche. Par notre capacité à ne pas confondre le Séducteur avec le vrai Sauveur.
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