Emmanuel Macron a tranché : l'interruption volontaire de grossesse sera finalement inscrite dans la constitution française. Une décision très politique, qui soulève tout de même des questions.
Hier, 8 mars, à l'occasion de la journée du droit des femmes, Emmanuel Macron a donc annoncé un projet de loi pour inscrire dans la constitution "la liberté des femmes à recourir à l'interruption volontaire de grossesse"… Pour tout vous dire, j'avais un édito tout prêt pour ce matin, dans lequel je comptais interpeller les Églises chrétiennes sur la nécessité de s'engager davantage contre les violences faites aux femmes et les féminicides. Car je pense qu'il y a là un véritable enjeu, et même littéralement une question de vie ou de mort. Mais l'actualité est ainsi : j'ai dû remiser ce texte et sacrifier à ce sujet qui revient au premier plan. Après quelques mois de tergiversations, et sous pression de l'Assemblée et du Sénat, le président de la République a fini par se décider à inscrire l'IVG dans la constitution de notre pays.
N'était-ce pas inévitable, après l'onde de choc suscitée par la révocation du droit constitutionnel à l'avortement l'été dernier aux États-Unis ? Je ne sais pas si c'était inévitable… en revanche, c'est cynique et inopportun. Cynique, parce que cette annonce survient pile au moment où le gouvernement est embourbé dans un conflit social parmi les plus vifs de ces dernières années. Qu'Emmanuel Macron ait besoin de "soigner sa gauche", c'est une évidence, et le choix de l'IVG comme cause pour recréer une unité de façade relève de la manipulation politique, sous une forme assez grossière.
C'est aussi un choix tout à fait inopportun. Pourquoi ? Parce que la France n'est pas les États-Unis. Outre-Atlantique, la question de l'avortement est un débat très violent, qui structure les clivages politiques. Mais chez nous ? Chez nous, la population est très largement favorable à l’IVG, aucun parti ne plaide pour un retour en arrière, et les manifestations d’opposants ne rassemblent pas. Pour le dire autrement : il n'y a aucune menace sur la loi Veil. D'ailleurs, cela va plus loin encore : l'IVG est l’objet d’une attention législative pointilleuse et d’élargissements continuels de la loi, parfois même plusieurs fois par an. Et on peut craindre que la constitution demain serve d'appui pour en justifier encore plus. C'est au point que, si l’accès à l’avortement devait être parfois plus difficile en France, c’est d’abord parce que tous ses élargissements – par exemple le passage du délai à 14 semaines, qui modifie la nature de l’acte – le rendent moins facilement acceptable pour les médecins qui le pratiquent.
Ce projet de loi constitutionnelle, est-on sûrs qu'il sera bel et bien voté ? Vous noterez que, très habilement, Emmanuel Macron ne reprend pas la formulation de l'Assemblée nationale sur un "droit à l'IVG", mais celle du Sénat qui parle de "liberté à y recourir". Ce faisant, il s'assure un meilleur consensus pour faire voter le texte. On pourra apprécier peut-être que, sous cette forme, la loi fasse peser moins de risques sur la clause de conscience des médecins – qui est une autre forme de liberté fondamentale régulièrement attaquée, elle… Mais paradoxalement, ce choix du terme "liberté" renforce encore le caractère inutile de cette inscription dans la constitution. En cela, c'est bien un geste de pur affichage, déconnecté d'une réelle justification sociale.
Ce que je regrette, c'est que l'IVG serve une fois de plus d'alpha et d'oméga à toute action en faveur des femmes. Si je reviens au sujet des féminicides, que j'évoquais en début d'édito, ce sont 125 femmes par an en moyenne en France qui meurent sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Une tous les deux ou trois jours ; 29 depuis le début de l'année. Dans le même temps, plus de 200.000 subissent des violences physiques et / ou sexuelles. Année après année, ces chiffres ne baissent pas.
L'éradication de ce fléau : voilà un autre projet qui devrait faire consensus. Ce n'est pas qu'un décompte macabre, c'est une tragédie qui nous concerne tous ! Une tragédie et une urgence contre laquelle, d'ailleurs, les milieux chrétiens devraient s'engager davantage. Ce qui donnerait aussi – soit dit en passant – davantage de cohérence aux réticences qu'ils peuvent exprimer sur l'élargissement permanent de l'IVG… Mais, actualité oblige, cet appel-là sera pour un autre édito.
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