Un hall d’aéroport, sans doute à Milan, la mémoire est fragile. Ils sont assis tous les deux, attendant le vol qui les ramène à Rome. Leurs costumes noirs et leurs cols romains passent inaperçus dans cette foule d’hommes d’affaires et de touristes. Il y en a un qui est jeune, à la carrure sportive, l’autre septuagénaire, le cheveu argenté.
Les identifiant de loin, par leurs habits d’ecclésiastiques, deux touristes, chemises à fleur et shorts aux couleurs vives, s’approchent avec de grands sourires : "Vous êtes prêtres ?" demandent-ils en anglais. Devant le hochement de tête du cadet, les deux Américains poursuivent : "Nous aussi. Mais là on a pris un an de congé sabbatique. Un an sans paroisse, sans messe à assurer… Les vacances quoi !" Le cadet, toujours, leur répond par un sourire et quelques mots convenus puis s’excuse : "L’embarquement commence, il faut y aller !"
De nouveau seuls, se dirigeant vers la porte de l’avion, il sent la main de son patron, saisir son bras et l’entend, de sa voix fine et fragile lui dire en allemand, leur langue natale : "Je pense que nous avons mal compris, ou alors, sûrement, c’est qu’ils devaient plaisanter…" Probablement les deux prêtres en goguette n’eurent jamais conscience qu’ils s’étaient vantés de leurs longues vacances, devant celui que la presse surnommait le "panzer cardinal" et qui dirigeait alors la Congrégation pour la doctrine de la foi.
L’anecdote est révélatrice de ce paradoxe que Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, aura eu longtemps à assumer : se voir confier une autorité redoutable lorsqu’on est soi-même doté d’un caractère plutôt doux et humble. Il y avait quelque chose chez cet homme au regard d’enfant timide qui sautait aux yeux : il n’était pas un homme d’intrigue et de dissimulation.
Beaucoup évoquent son intelligence, sa culture, sa profondeur de vue. Ils ont sûrement raison. Mais ce n’est pas là, à mon sens, le plus important. L’essentiel était la douceur et la bonté avec lesquelles il utilisait ces capacités, ses dons, qu’il avait par ailleurs cultivés. C’est cette douceur qui provoqua ce martyre que des réseaux maffieux qui sévissent dans la ville éternelle, lui firent endurer jusqu’à l’amener à renoncer. Sans doute y en avait-il en soutanes ou en costumes, hier, place Saint-Pierre, versant des larmes de crocodiles sur un cercueil devant lequel ils rêvaient il y a dix ans déjà de se tenir.
Ce n’est que la douceur, enracinée dans la constance, qui donne au Christ de tenir bon face aux tempêtes par lesquelles la mort essaye de le faire périr. Ratzinger ne feignait pas. Benoît XVI non plus. Il fit sans doute, certainement, des erreurs. Quelques-unes, beaucoup ? Mais il s’effaça toujours devant Celui qui vient, redoutant de lui faire obstacle. D’où cette douceur peut-être ? Une douceur qui n’est ni naïve ni faible. Au contraire, elle est de celle qui désarme les puissants et élèvent les petits.
Il faut relire par exemple l’interview que le cardinal Ratzinger donna à L'Express en 1997, rencontrant le journaliste Michel Cool : aux questions les plus risquées, il répond très précisément, sans circonvolutions, d’un ton que l’on sent si calme, si bienveillant. Un ton qui confère à son propos, à son intelligence une crédibilité, une légitimité, dans le concert des cris, des slogans et des vociférations qui recouvrent tout.
On a le droit, et c’est même à mes yeux là où se manifeste le mieux la puissance de l’Église, on a le droit donc de ne pas être toujours d’accord avec ce que dit ou écrit un cardinal ou même un pape. Mais le témoignage de notre frère Joseph, devenu pape un jour de 2005, est à l’image de son saint patron, le témoignage le plus puissant qui soit : il révèle la bonté de Celui qui se donne et qui se donne jusqu’au bout. Il révèle que la bonté ne passera jamais.
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