Chers amis, cette semaine j’ai eu cette joie si grave de recevoir un petit groupe de victimes de membres de l’Église. Nous nous rencontrons régulièrement depuis plusieurs années pour parler de notre foi et des questions théologiques que posent profondément les abus et les agressions sexuelles. Au fil des mois ces personnes sont devenues des amis, plus même. Le mot juste serait peut-être : des proches. Ce qui me frappe : plus rien ne va de soi.
Il faut tout oser revisiter à l’aune de ces tragédies. Non comme une lubie ou une volonté de réforme. Non du tout. Juste car c’est impératif, car le réel y oblige, y assigne. Parce que la vie et la vie de foi ne peuvent plus être comme avant. Parce que pour chacune et chacun plus rien ne sera comme avant. La couleur du monde, de notre monde, a changé. Il a fallu creuser, creuser encore.
Creuser vers ce puits dont parle Etty Hillesum, jeune femme juive qui prit le risque d’aimer jusque dans le camp de transit de Westerbork et fut exterminée à Auschwitz en 1943 ; elle avait 29 ans. "Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois je parviens à l’atteindre. Mais, plus souvent, des pierres obstruent ce puits et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour. Il y a des gens qui prient les yeux levés vers le ciel. Ceux-là cherchent Dieu en dehors d’eux. Il en est d’autres qui penchent la tête en la cachant dans leurs mains, je pense que ceux-ci cherchent Dieu en eux-mêmes."
Ces femmes et ces hommes, brisés et debout, douloureux et vivants racontent une traversée
des abîmes. Des abîmes qui ne les ont pas engloutis. Cette traversée est leur résistance au mal ; ne pas le laisser vaincre. Alors deviennent-ils, comme le dit l’un d’eux, tels les canaris qui détectaient le danger de mort dans les mines de charbon. Quand ils cessaient de chanter - ou mouraient - c’était l’indice de la présence de gaz toxiques et le signal qu’il fallait impérativement remonter à la surface.
Ces témoins sont devenus - bien contre leur gré et en le payant d’un prix exorbitant - des
experts de ce qui est mortel dans l’Église, car ils ont été "livrés aux mains des pécheurs", comme le raconte l’Évangile de Matthieu (26, 45) à propos du procès et de la mise à mort de Jésus. Leurs agresseurs, mais encore ceux qui ont couvert ces crimes en restant passifs, voire complaisants.
Aujourd’hui se mêlent en eux, en moi comme témoin des témoins qu’ils sont devenus, l’infinie tristesse des vies perdues, des mémoires meurtries, des corps et des âmes martyrisés, mais aussi la gratitude de la traversée, les uns avec et pour les autres. Témoins de cette espérance qui vient de la catastrophe même. En dépit de tout, ils sont les visages, qui du cœur de la perte, racontent le souffle ténu de la vie qui s’obstine et revient. Merci est un mot trop petit à leur adresser…
Véronique Margron op.
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