LA TRIBUNE DE CYRILLE PAYOT - Est-ce que le pouvoir par la force fonctionne face à la violence ? La situation est toujours brûlante en Nouvelle-Calédonie, comment rebondir ? C'est la tribune de Cyrille Payot, pasteur au sein de la paroisse de l’Église Protestante unie du Cognaçais.
Une explosion de violence depuis 15 jours, qui a déjà fait 7 morts, des centaines de blessés, plus de 400 commerces et entreprises qui ont fait l’objet de dégradations importantes. Nous n’allons pas ici refaire l’histoire du Caillou, cet archipel riche en nickel de l’Océan Pacifique, qui détient aujourd’hui 20 à 30 % des ressources mondiales de ce minerai précieux dont sont fabriquées nos batteries. Ce n’est pas la première fois que la Nouvelle-Calédonie vit des événements tragiques et menace les Kanak de disparition. Le génie des accords de Matignon en 1988 sous l’égide de Michel Rocard, alors premier ministre, était d’avoir compris que pour apaiser la situation sur cet archipel, suite à l’attaque d’Ouvéa par un groupe indépendantiste, il fallait prendre le temps d’écouter, prendre en compte la situation des Kanak, humiliés de se retrouver minoritaires sur leur propre terre. Une terre de colonisation de la France depuis 1853…
Le vote à l’Assemblée nationale pour élargir l’électorat et mettre fin au régime spécial sur cet archipel n’a pas arrangé les choses... C’est une leçon d’histoire qui se produit sous nos yeux : l’équilibre de paix qui a été construit au fil des années depuis 36 ans, a été détruit en l’espace de quelques jours. Comme en témoigne un pasteur qui fut enseignant en Nouvelle Calédonie, « Le gouvernement a manqué à sa parole. Selon les accords de Nouméa en 1998, il devait être garant du dialogue et organiser le débat. En faisant voter une loi qui n’a pas recueilli l’assentiment de toutes les parties, il est sorti de son rôle d’arbitre. » Faut-il le rappeler, le fondement de la culture Kanak, c’est la parole, tenir parole, et la recherche d’un consensus. De l’avis de nombreuses personnes de terrain, autant du côté kanak indépendantiste, que du côté loyaliste, il y avait une volonté sincère de forger un destin commun, avec des « signes identitaires » adoptés consensuellement : un hymne « Soyons unis, devenons frères » et une devise « Terre de parole, terre de partage ».
Aucune violence ne saurait être acceptable ni justifiée. Un historien néo-calédonien explique cependant : « Les acquis sont réels mais restent fragiles, dès qu’un événement bouscule cette harmonie, les vieilles angoisses ressurgissent vite ».
En se replongeant dans un passé récent. Un paroissien de Cognac, parti comme coopérant en 1988, nous expliquait qu’il avait été à l’époque entendu par les délégués de la « mission du dialogue » mandatée par Michel Rocard, dont faisait partie le président de la FPF (Fédération Protestante de France), J.Stewart, qui ont conduit à la rédaction des accords de Matignon ; il a utilisé une expression qui semble avoir manqué ces dernières semaines : « A l’époque, ils ont écouté et senti les choses en essayant de prendre conscience des douleurs de chacun ». Cela me rappelle ce proverbe que j’ai entendu au Liban : « Un berger doit avoir l’odeur de ses brebis »… il doit sentir ce qu’il se passe. Le Président Emmanuel Macron déclarait : « Ce que j’ai pu voir de la Nouvelle-Calédonie jusqu’ici, c’est de l’entraide, du partage, personnellement, je ne m’attendais pas du tout à ce mouvement d’insurrection absolument inédit. ». Il n’a pas senti.
L’exécutif veut imposer le rétablissement de l’ordre… Le pouvoir de la force ne fait pas toujours recette. Frédéric Potier, l’un des négociateurs nommé par le président de la République, est un passionné de Mendes France dont il vante « L’éthique de la République ». Il serait donc bien inspiré de distinguer entre une éthique de conviction républicaine, et l’éthique de responsabilité qui nous oblige à faire exception de nos dogmes, en situation donnée, afin d’apaiser et de réconcilier, dans le respect des minorités et de notre propre parole.
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