Je voudrais revenir sur le simulacre d’élections législatives en Russie. Comment peut-on appeler autrement que par le terme de simulacre ce qui s’est passé dimanche dans le plus vaste pays du monde ?
Des opposants et journalistes indépendants comme Alexeï Navalny ont été envoyés depuis plusieurs mois en prison. Des avocats comme Lioubov Sobol ont été placés en résidence surveillée. Des ONG civiques comme celle de "Russie ouverte" ont été déclarées indésirables en Russie et leurs sites ont été interdits. Il n’existe aujourd’hui en Russie aucune chaîne de télévision indépendante de l’Etat qui puisse diffuser ses programmes librement. Dojd’, la seule chaîne de télévision privée qui est en mesure de diffuser ses émissions, mais seulement sur internet, est obligée depuis août dernier de se présenter comme "agent de l’étranger", ce qui, forcément, provoque immédiatement une suspicion de la part du public.
Les Russes étaient censés « élire » dimanche 19 septembre 450 députés selon deux types de scrutin, la moitié sur la base de listes de partis nationaux, selon le système de comptage proportionnel, et l’autre moitié sur la base de scrutins locaux, selon le système de comptage majoritaire à un tour. Le problème c’est que, comme l’a prouvé l’ONG Golos, la pratique des bourrages d’urnes est très répandue un peu partout dans le pays, même si cette année le pouvoir russe a veillé à ce qu’il n’y ait plus de caméra dans les bureaux de vote. Il y a aussi d’autres situations problématiques, comme par exemple en Crimée annexée ou dans le Donbass occupé par l’armée russe. Les citoyens sont dans une telle situation d’insécurité qu’ils votent pour le parti au pouvoir.
Face à cette situation, comment les Occidentaux devraient-ils réagir ? Jusqu’à présent ils ont fait semblant de croire qu’il y avait en Russie de vraies élections avec quelques manipulations à la marge. Le problème c’est que les événements de la présidentielle au Belarus en 2020 ont montré que cette approche ne pouvait pas rendre compte de la réalité du terrain comme on s’en est aperçu avec les manifestations massives qui ont suivi les élections truquées, élections qui ont été réprimées ensuite dans le sang. Il y a aussi ceux qui considèrent que, par définition, un si vaste pays que la Russie est ingouvernable. On ajoute que "si le président Poutine dirige le pays de façon dictatoriale, ses opposants communistes et nationalistes ne feraient pas mieux que lui". Ce raisonnement est lui aussi erroné.
En réalité les Occidentaux refusent depuis longtemps de collaborer avec la vraie société civile russe. C’est pourquoi personne n’a remarqué par exemple que des opposants comme Lioubov Sobol étaient parfaitement francophones. En réalité si les Européens avaient encore un peu le courage de leurs convictions libérales, ils devraient dénoncer le caractère anti-démocratique des élections en Russie. Ils devraient dès lors appliquer la jurisprudence du Comité olympique international qui, en 2021, n’a pas voulu traiter avec l’Etat russe en raison du fait qu’il a été reconnu coupable de dopage organisé. Cet été, aux JO de Tokyo, les athlètes russes ne représentaient pas l’Etat russe mais le Comité olympique russe. Lorsque ceux-ci recevaient une médaille, ce n’était pas l’hymne russe qui était joué mais le concerto n°1 pour piano de Tchaïkovski. Il devrait en être de même pour les relations politiques avec l’Etat russe. L’UE et la France devraient prendre leurs distances à l’égard des dites "élections" russes. En revanche, elles devraient soutenir ceux qui en Russie et ailleurs défendent l’Etat de droit, le vrai.
Antoine Arjakovsky est historien, directeur de recherche au Collège des Bernardins, directeur émérite de l'Institut d'études œcuméniques de Lviv (Ukraine). Son dernier livre : "Essai de métaphysique œcuménique" (éd. Cerf). Il nous livre son regard sur l'actualité chaque semaine dans la matinale RCF.
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