LA CHRONIQUE D'AYMERIC CHRISTENSEN - Benoît Jacquot, Gérard Depardieu, Philippe Caubère, Gérard Miller… De grands noms du cinéma et des médias sont aujourd’hui accusés de violences sexuelles. Y a-t-il un problème systémique dans ce milieu ?
L'actrice Judith Godrèche a porté plainte contre le cinéaste Benoît Jacquot pour « viols avec violence sur mineure de moins de 15 ans » et dénonce son « emprise » sur elle à l'adolescence. Une affaire qui s’ajoute à de nombreuses autres dans le monde de la culture et des médias ces derniers mois…
Il faut voir les quelques minutes d’un documentaire de 2011 dans lesquelles Benoît Jacquot assume, avec le sourire, face caméra, la « transgression » qu'était sa « relation » avec Judith Godrèche. Il avait alors la quarantaine ; elle, seulement 14 ans. « En principe, je n’avais pas le droit. Je ne crois pas. Mais ça, alors, j’en avais rien à foutre. »
Comment ne pas être éberlué, horrifié, dégoûté devant de tels propos ? devant un tel sentiment d’impunité ? Ou encore devant le fait que tout cela ne semble choquer qu’aujourd’hui, 35 ans après les faits, 13 ans après la diffusion de ces images…
Et le trouble grandit encore quand le réalisateur du documentaire, le psychanalyste Gérard Miller, se retrouve lui-même accusé par plusieurs femmes d’agressions sexuelles et d’un viol, lors de séances d’hypnose. Est-ce que c’est sans fin que des affaires vont continuer à remonter ?
Il est vrai que depuis le scandale Weinstein en 2017, le mouvement #MeToo ne cesse de libérer la parole contre les violences sexuelles faites aux femmes.
Bien sûr. La justice doit faire son travail. Mais reconnaissez que cette accumulation est troublante. Rien que ces dernières semaines, il y a eu le cas Gérard Depardieu, accusé de viols et d’agressions sexuelles, l’acteur et réalisateur Samuel Theis, accusé de viol, le comédien Philippe Caubère, visé par une enquête pour « atteinte sexuelle sur mineure », ou encore le journaliste Patrick Poivre d'Arvor, mis en examen pour viol.
Face à toutes ces affaires, il n’est sans doute pas excessif de parler – comme on a pu le dire à propos de l’Église catholique – de problème systémique. Est-ce que « tout le monde savait », selon la formule consacrée ? Sans doute pas. Mais il a fallu tout un milieu pour tolérer autant de rapports de domination et de violence ; il a fallu que beaucoup sachent quelque chose, que trop soient témoins d’un petit morceau de malaise, sans le dénoncer… ou sans écouter celles qui le faisaient avec un courage immense.
Non, mais il a sans doute une responsabilité propre. À quoi tient-elle ? Peut-être à une forme de culte de la transgression, justement, comme signe de pureté artistique.
En 2011, Benoît Jacquot l’affirmait tranquillement (je le cite encore) : « Le cinéma était une sorte de couverture ». Et Gérard Depardieu a bâti une partie de son succès sur son « animalité », sa capacité à choquer la morale catho-bourgeoise – morale dont on sait par ailleurs tout le mal que son propre culte du silence a pu faire. Mais créer le malaise, est-ce toujours un critère de génie, ou parfois juste un signe… eh bien, de malaise ?
Le pire sans doute, c’est que cet empilement de petites lâchetés a encouragé et nourri le sentiment d’impunité des agresseurs. Jusqu’à les aveugler et les enfermer eux-mêmes dans leurs fautes, qu’ils semblent ensuite sincèrement étonnés de se voir soudain reprocher.
Aujourd’hui, les yeux s’ouvrent et les mentalités évoluent. La tolérance disparaît pour des comportements qui relèvent d’une culture du viol. Ces changements sont heureux, pour bâtir une société plus sûre. Mais pour peu qu’on les prenne au sérieux, ils soulèvent en même temps une question vertigineuse : quels sont encore nos aveuglements d’aujourd’hui, ceux qui nous laisseront demain éberlués, horrifiés, dégoûtés ?
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !